Les modes de production

Une exploitation qui relève des techniques minières

L'exploitation directe des dépôts salins, sel gemme, lacs salés, relève des techniques minières d'extraction.
Plus souvent, produire du sel consiste à l'extraire d'une substance salée, puis à le concentrer par divers moyens. On transforme en sel une saumure naturelle (eau de mer, source salée) ou bien artificielle. La saumure artificielle est obtenue par la lixiviation de divers éléments (terre, sable, cendres végétales), que l'on peut également asperger ou tremper dans une saumure naturelle pour enrichir leur teneur en sel. Pour augmenter la teneur en sel d'une saumure, on peut y ajouter diverses substances (délayage de terre salée dans l'eau d'une source salée, lessivage des plantes halophytes par de l'eau de mer). On peut aussi la concentrer par évaporation. Dans un marais salant, l'eau de mer subit à la fois l'effet du soleil et du vent. En revanche, la graduation ou l'évaporation dans des poêles chauffées au feu sont des applications à part.

 

Les sociétés ont combiné différemment ces opérations dans l'espace et dans le temps, en fonction des systèmes techniques qui leur sont propres.

Le briquetage, une technique protohistorique

Le terme générique de « briquetage » désigne la manière d'exploiter le sel qui remonte au premier âge du Fer. Dans cette technique, des godets, appelés augets, barquettes ou cornets, étaient fabriqués à partir d'argile. Ils étaient ensuite disposés sur une sorte d'échafaudage en poterie ou argile, posé sur un foyer. L'ensemble porte le nom de « fourneau ». Les godets étaient remplis de la saumure, qui était chauffée. À l'issue de l'évaporation, il ne restait que des galettes de sel attachées au fond du godet. Pour récupérer le sel, il fallait casser cet auget. À côté de ces briquetages et fourneaux, produire du sel imposait de construire des citernes en terre, en cailloux, que l'on tapissait d'argile pour stocker et faire évaporer la saumure. Il fallait aussi disposer de réserves de bois ou de combustible pour alimenter les foyers. Une fois le sel obtenu, il fallait encore du matériel pour l'emballer et le transporter : nasses, filets, feuilles cousues, etc.

 

Ce sont les vestiges issus des augets cassés formant des amas de déchets, que l'on découvre régulièrement, qui témoignent de l'activité de production de sel.

Le lavage des sables

Il arrive que le sel soit disponible et affleurant sur le sol : c'est le cas en Espagne, au Mexique ou dans certaines régions africaines. L'un des procédés employés pour récupérer le sel mélangé à d'autres éléments minéraux du sol est de procéder, après l'avoir ramassé ou collecté, à ce qu'on appelle une lixiviation .

 

Cette opération consiste à lessiver les terres récoltées avec de l'eau douce : elles décantent d'abord dans des fosses ou de grands récipients, puis sont filtrées au-dessus d'un autre bassin ou d'un récipient. À l'issue de ce filtrage, on récolte la saumure. Cette saumure est ensuite concentrée et cristallisée par évaporation, soit solaire, soit sur un foyer de cuisson. Cette technique est encore utilisée aujourd'hui au Mexique.

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Lixiviation

La lixiviation, terme de chimie, désigne l'opération par laquelle on enlève ses principes solubles à une substance en la faisant passer à travers un liquide qui les lessive ou les dissout. Dans le cas du sel, c'est de l'eau, douce ou salée. Le lixiviat désigne la solution obtenue. Pour le sel, c'est la saumure.

L'extraction minière du sel

Le sel gemme est souvent exploité sous forme de mines. Pour extraire le sel gemme des gisements souterrains, il faut creuser des puits et déblayer des galeries. Pour extraire le sel dans les mines de Hallstatt (Alpes autrichiennes), les mineurs de l'âge du Bronze creusaient des puits verticaux ; à l'âge du Fer, ces puits étaient obliques, ce qui permettait d'accéder plus directement à la ressource. Une fois la couche de sel atteinte, les galeries étaient élargies et devenaient de vastes salles équipées d'échafaudages ; le sel était détaché en gros blocs au moyen d'encoches taillées dans la paroi. Ces blocs étaient ensuite transportés à dos, par des hommes ou des femmes, à l'aide de sangles de cuir. Pour aérer la mine, des puits à oxygène étaient reliés avec l'extérieur.

 

Au fil des siècles, les techniques d'extraction et de transport ont subi quelques améliorations, mais le principe reste toujours le même.

Les fourneaux à sel gaulois

La technique du fourneau à sel, utilisée dans le nord de la France à l'époque gauloise, a fait l'objet d'une reconstitution en 2000. L'expérimentation a pris pour modèle le fourneau à sel à grille et double entrée découvert à Pont-Rémy (Somme). Il a été reproduit dans des dimensions réduites : une fosse longue de 3 mètres sur 1,20 m de large et 0,60 m de profondeur. Au centre, une superstructure en torchis se composait de trois piliers soutenant chacun une voûte, elle-même en torchis. La grille a été divisée en quatre petites grilles amovibles de 0,40 m de côté. On a disposé les godets d'argile au-dessus de la grille, sur des hand-bricks .

 

Durant six heures, on a versé continuellement dans les godets une saumure concentrée à 330 g de sel par litre. On a ainsi obtenu 600 g de sel avec trois godets contenant 0,3 litres chacun. L'expérience a permis de valider la fonction des hand-bricks et montré l'efficacité de ce type de fourneau.

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Hand-bricks

Les hand-bricks sont de petits plots d'argile qui empêchaient les amas de sel de souder les godets à la grille et servaient à caler les moules dans le four. On a découvert ces petites structures sur les sites de Rue, Sorrus et Pont-Rémy, dans la Somme et le Pas-de-Calais.

Le sel végétal

La technique autrefois répandue consistant à obtenir du sel par lavage des cendres végétales issues de plantes halophytes collectées ou cultivées a aujourd'hui quasiment disparu. Chez les Baruya, en Nouvelle-Guinée, l'herbe à sel est coupée en période sèche, puis mise à sécher. Elle est empilée sur un bûcher constitué de bois spéciaux et brûlée pendant un jour ou deux. Les cendres obtenues sont mises à l'abri durant plusieurs mois. On construit un filtre composé d'une rangée de gourdes dont l'extrémité inférieure est obstruée par un noeud végétal qui retient les impuretés. Les gourdes sont remplies de cendres et l'on y verse de l'eau pure ; en passant, elle se sature d'éléments minéraux, s'écoule dans une gouttière faite de feuilles et se déverse dans de longs bambous qui sont transportés dans l'atelier à sel. L'eau salée mise dans des feuilles de bananier y est évaporée et cristallisée par chauffage pendant plusieurs jours. On obtient ainsi des barres de sel qui sont emballées pour le transport. En Afrique ou en Guyane, on peut aussi utiliser des palmiers pour fabriquer ce sel.

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Halophyte

Les plantes halophytes vivent dans les milieux riches en sel, soit des sols, soit des terrains recouverts par la mer. C'est le cas, par exemple, de la salicorne, qui pousse dans les marais salants.

Les techniques du sel ignigène

Le terme « ignigène » désigne tous les sels obtenus par différents procédés ayant recours au chauffage d'une saumure par le feu. Cette saumure peut être issue d'une source salée, de la lixiviation de matières telles que le sable, la boue, la terre, les cendres végétales, ou bien encore de l'eau de mer. L'évaporation par le feu de la saumure d'eau provenant de sources salées était le moyen d'obtenir du sel en Franche-Comté ou en Angleterre, par exemple. L'évaporation de la saumure issue de la lixiviation de matières mélangées était répandue de la Basse-Normandie à la Scandinavie. La saumure issue du lavage des cendres végétales était autrefois généralisée sur l'ensemble de la planète : en Europe du Nord et sur la Manche, ces cendres provenaient de la tourbe.

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Lixiviation

La lixiviation, terme de chimie, désigne l'opération par laquelle on enlève ses principes solubles à une substance en la faisant passer à travers un liquide qui les lessive ou les dissout. Dans le cas du sel, c'est de l'eau, douce ou salée. Le lixiviat désigne la solution obtenue. Pour le sel, c'est la saumure.

Les marais salants et les salins

Dans les marais salants, l'obtention du sel repose sur l'utilisation optimale de l'évaporation solaire et sur le vent. Dans le sud de la France, le cycle de production du sel comporte deux périodes distinctes. La campagne de production débute lorsque les évaporations sont supérieures aux pluies, car il faut évaporer 90 % de l'eau initiale. L'eau de mer est pompée et portée à saturation ; le sel marin se dépose sur des surfaces, les cristallisoirs. Dès le mois de mars-avril, les eaux inondent les cristallisoirs pour déposer le sel jusqu'au mois d'août, où il est récolté sous forme de gâteaux. La période d'hivernage s'étend de septembre à février. Les eaux non utilisées lors de la production sont stockées dans des étangs profonds pour éviter leur dilution par la pluie. Cette manière de produire le sel est identique depuis le Moyen Âge, voire peut-être depuis l'époque romaine.  

La seule amélioration concerne les techniques et les capacités de pompage de l'eau. Tous les marais salants fonctionnent sur ce principe, les différences dépendant de la nature du terrain, des technologies d'amenée et de circulation des eaux, et de la périodicité de la récolte.

Voir aussi

Le développement des marais salants et la fin des briquetages
Quand les paludiers de l'Atlantique rencontrent leurs confrères du Bénin
Riz et sel en Guinée, deux récoltes alternées

Les bâtiments de graduation

Pour pallier l'insuffisance de ressource en bois, laquelle se pose cruellement dès la Renaissance dans les salines , on cherche à augmenter les rendements de production en améliorant les capacités thermiques et d'évaporation des saumures. Le bâtiment de graduation est ainsi mis au point et devient un élément du paysage industriel de l'époque. Son principe est d'offrir au vent le maximum de surface d'évaporation des eaux avant leur cuisson. Sur une structure charpentière à échafaudages, on place des planches. Des machines élévatrices formées de roues à godets montent l'eau au sommet. De là, elle s'écoule lentement en passant sur de la paille avant d'être recueillie en bas dans un bassin par une rigole ; l'opération peut être répétée plusieurs fois. En s'écoulant, l'eau exposée au vent s'évapore et se concentre.

 

Ce système a perduré durant quatre siècles, au cours desquels les améliorations furent nombreuses. Il semble que ce soit à Moûtiers, en Savoie, que le système ait été le plus perfectionné.

Le saviez-vous ?

Saline

Au Moyen Âge, on désigne les marais salants sous le terme de « salines ». Le verbe saliner désigne l'action de produire du sel, le salineur ou salinier est un fabricant de sel ou, dans le Midi, un marchand de sel. C'est à partir du XVe siècle que le mot « salin » désigne à la fois le magasin de sel et le marais salant (d'après M. Lachiver, Dictionnaire du monde rural, Paris, 1997).

La cuisson du sel et les poêles à sel

Dans les salines de Lorraine, en Franche-Comté, à Lunebourg ou Halle, en Allemagne, le processus de cuisson du sel est le même. Une cuisson, aussi appelée bouillon , prend de dix-huit à vingt-quatre heures ; seize à dix-huit cuissons consécutives constituent une abattue ou rémandure. Au terme de la cuisson, il faut arrêter la production pendant six jours. Au cours de la cuisson, les chlorures et sulfates de sodium s'incrustent dans les poêles et forment une sorte d'écaille, ce qui oblige à un entretien constant de la poêle et à des réfections fréquentes. C'est pourquoi des équipes de forgerons et une forge sont installées dans ces salines.

 

En Lorraine, une poêle peut servir entre 27 et 31 abattues avant d'être hors d'usage, soit environ deux ans. Il faut donc avoir des poêles de remplacement prêtes à fonctionner. Au XVe siècle, pour fabriquer une poêle, il fallait 576 tôles de fer pesant 2 124 livres, soit plus d'une tonne !

Le saviez-vous ?

Bouillon
Le bouillon désigne la cuite ou cuisson du sel de plage ou de marais. En France, sous la gabelle, les pays de quart-bouillon désignaient les régions fiscales où cette technique d'obtention du sel était pratiquée, notamment sur les côtes de la Manche (Avranches, Coutances, Bayeux, Pont-l'Évêque), et où revenait théoriquement au roi, selon la coutume, le quart de la production.

 

La dernière poêle à sel
À Salins-les-Bains (Jura), la dernière poêle à sel, installée à la fin du XIXe siècle, a fonctionné jusqu'en 1962, date de fermeture du site. Le site a été classé par l'Unesco et un projet de réhabilitation a vu le jour. Pour restaurer la poêle à sel conservée in situ, il a fallu faire un diagnostic précis de son état physique et chimique, avant d'entreprendre le nettoyage, la consolidation et la préservation de l'objet dans sa structure support, qui a aussi été réparée. Ce travail s'est étalé sur plusieurs années.

Le sel de sable ou sel ignifère

Sur les plages des mers à marée, lorsque l'eau se retire, elle dépose sur le sable une partie des sels marins. Le sable filtre ces sels, et notamment les sels toxiques. La partie supérieure du sable retient le chlorure de sodium. Celui-ci cristallise, sous l'effet conjugué du soleil et du vent. Le sable, blanc et étincelant, est récolté à marée basse en étant raclé sur une petite épaisseur. Pour augmenter la surface de déposition et d'évaporation, on procède à des labourages et des hersages des plages : plus il y a de sillons et plus la surface de déposition du sel sur la plage est importante. Le sable chargé de sel, appelé sablon , est entassé et compressé le plus possible, soit dans des fosses, soit en tas, près de la plage ou dans les terres.

 

Il est ensuite traité de manière à en extraire de la saumure, elle-même concentrée puis chauffée selon différentes techniques, plus coûteuses en combustible lorsqu'on va vers le nord. Le sel ainsi obtenu est décrit comme très blanc, sans impuretés et à grain fin. À la fin de l'Antiquité ou au haut Moyen Âge, ce procédé a pris la suite des anciens briquetages. Il a été attesté dans le Calvados, lors d'une fouille menée dans les marais de la Dives.

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Sablons

On désigne sous le nom de « sablons » les sables chargés en sel déposés par les marées sur les plages dans la bande de l'estran.

Le sel de cendres

Il existe une technique d'extraction du sel sans récipient, à laquelle les auteurs anciens ont fait allusion (Pline, Tacite, Varron). Connue dans l'est de la France dès le Néolithique, elle consiste à verser directement l'eau sur un bûcher incandescent recouvert d'une litière freinant la chute de l'eau. Le bois utilisé doit avoir un fort pouvoir calorifique. L'eau salée se concentre tout au long de sa chute, un peu à l'image des bâtiments de graduation qui ont existé du XVIe au XIXe siècle. Au contact des braises, l'eau cristallise lentement. Les petits cristaux de sel sont récupérés parmi les cendres et les charbons de bois. Contrairement à ce que l'on pouvait supposer, cette technique s'est révélée particulièrement rentable.

 

Une expérimentation a permis d'évaporer 420 litres de saumure à 30 grammes par litre sur un bûcher de 1 m3 : on a récolté au final 23 kg de résidus salés, dont 11 kg de sel en cristaux, 11 kg de cendres salées et environ 1 kg de déchets de charbon de bois.

La technique minière des chambres et piliers abandonnés

Dans les mines de sel, la technique d'exploitation dite « des chambres et des piliers abandonnés » consiste à creuser dans la couche de sel, selon un plan préétabli, de grandes cavités, les chambres, et à laisser en place des piliers de sel, dont la dimension est calculée afin d'éviter les effondrements du toit. Le minerai de sel est abattu, concassé et stocké. Il est ensuite dissous dans l'eau et transformé en saumure, ce qui permet aux impuretés de se déposer. Cette saumure est ensuite chauffée afin d'obtenir le sel par évaporation et cristallisation.

 

Les mines de sel exploitées industriellement et mécaniquement sont aujourd'hui devenues d'immenses souterrains constitués de routes où circulent d'énormes engins qui parcourent les sous-sols.

La technique minière des forages et sondages

Aujourd'hui, pour extraire la saumure de gisements profonds, on procède en creusant un trou dans l'écorce terrestre. Une fois le gisement atteint, on passe une colonne de tubes, ce qui permet d'injecter de l'eau douce sous pression. Cette eau va lessiver le minerai et dissoudre le sel. La saumure est ensuite remontée par un autre tuyau, puis stockée dans d'immenses bassins d'épuration.

 

Pour surveiller l'état des cavités créées dans le sous-sol, on a recours à des sondes à ultrasons reliées à des ordinateurs.