Émissions de radio
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Mis à jour le
30 janvier 2024
Collection
Carbone 14

Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.

Avec Jean-Guillaume Bordes, maître de conférences à l’Université de Bordeaux, chercheur à l’UMR Pacéa (Bordeaux) et Jean-Baptiste Lajoux, préhistorien, archéologue à l’Inrap et chercheur à l'UMR Temps (Nanterre).

Un exceptionnel site solutréen (24 000 - 22 000 avant notre ère) vient d’être fouillé en Bourgogne.

Mise en évidence par Gabriel de Mortillet, en 1872, la culture solutréenne doit son nom au gisement préhistorique découvert en 1866 au pied de la roche bourguignonne de Solutré, non loin de Mâcon (Saône-et-Loire). Contrairement à d’autres cultures paléolithiques européennes, le Solutréen se limite exclusivement entre la France et la péninsule ibérique, entre 24 000 et 20 000 avant notre ère.

La culture solutréenne

Cette culture se développe dans des conditions climatiques très rigoureuses, durant ce maximum glaciaire, l’Europe est alors une vaste steppe froide au couvert végétal peu développé, où évoluent des espèces adaptées à ces milieux extrêmes et dominées par les troupeaux d’herbivores dont le renne, le cheval, le bison et le mammouth. La culture solutréenne s’avère une société très innovante, avec l’invention de l’aiguille à chas, et du propulseur (bâton permettant de lancer sur une grande distance une sagaie ou un projectile). Elle est aussi très connue pour ses exceptionnelles pièces foliacées, produites en chauffant puis retouchant le silex à l’aide de la technique de la pression. Parmi elles, les pointes de Volgu sont les plus célèbres. Son art est notamment connu dans la grotte Cosquer et dans la vallée de Côa, au Portugal.

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Dégagement du niveau archéologique sur le site solutréen de Fragnes-La Loyère - © G. Perthuisot, Inrap

Une exceptionnelle halte au milieu des steppes

Découvert entre le cours de la Saône et la Côte chalonnaise, l’exceptionnel site solutréen de Fragnes-La Loyère, près de Chalon-sur-Saône, est actuellement fouillé par une équipe de l’Inrap, avant qu’il ne disparaisse sous un échangeur de l’autoroute A6 (Paris-Lyon). Celui-ci date de 24 000-22 000 avant notre ère et appartient au Solutréen ancien.

Le site est formé d’une concentration de silex taillés qui s’inscrit dans un ovale de 20 m², délimité par de gros galets. À l’intérieur de cet espace structuré (peut-être protégé par des structures légères, piquets et peaux ?), les chasseurs solutréens ont taillé le silex. Des zones de taille sont bien visibles et se composent d’amas de débitage, souvent très denses (300 objets au m²) et très bien conservés. De tels sites du Solutréen ancien sont rarissimes en France, les principaux étant ceux d’Arcy-sur-Cure et de La Celle-Saint-Cyr (Yonne), d’Ormesson (Seine-et-Marne) et de la grotte Chabot (Gard).

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Dégagement du niveau archéologique sur le site solutréen de Fragnes-La Loyère - © G. Perthuisot, Inrap
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Dégagement d’une pointe à face plane solutréenne sur le site de Fragnes-La Loyère - © G. Perthuisot, Inrap

Des maîtres tailleurs

Plus de 4 000 objets viennent d’être exhumés. L’activité très spécialisée des tailleurs solutréens est tout orientée dans la production de lames, ensuite utilisées brutes ou transformées en support d’outils. Les outils produits en quantité sont des lames appointées, que l’on désigne sous le terme de "pointe à face plane", outils emblématiques de la phase ancienne du Solutréen. De tels objets étaient probablement voués à devenir des armatures de projectile, destinées à la chasse aux grands herbivores.

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Pointe à face plane solutréenne extraite de la fouille de Fragnes-La Loyère - © G. Perthuisot, Inrap

Pour aller plus loin

Pour aller encore plus loin sur le Solutréen

Texte et illustrations (ci-dessous) proposés par Jean-Guillaume Bordes (invité de l'émission), Catherine Cretin et Maxime Villaeys, du Musée national de la Préhistoire des Eyzies.

Le Solutréen, culture du Paléolithique supérieur il y a 25 000 ans, est surtout connu pour ses emblématiques "feuilles de laurier" (figure 1). Au-delà de cette vision restrictive, la prochaine exposition du Musée national de Préhistoire des Eyzies de Tayac (Dordogne), du 12 octobre 2024 au 05 mai 2025, a pour ambition d’approcher mieux la vie des groupes solutréens, au cœur de leurs habitats et sur les territoires investis en s’appuyant sur des données issues de fouilles récentes (préventives ou programmées) de sites de plein air comme Le Landry ou la Doline de Cantalouette 2 (Dordogne), Les Maîtreaux (Indre-et-Loire) ou Les Bossats à Ormesson (Seine-et-Marne).

figure 1 - La feuille de Laurier, entièrement façonnée sur ces deux faces, est une prouesse de l’artisanat de la pierre paléolithique. Solutréen supérieur, Pech de la Boissière, Dordogne.

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La feuille de Laurier, façonnée sur ces 2 faces, est une prouesse de l’artisanat de la pierre paléolithique. Solutréen supérieur, Pech de la Boissière, Dordogne - © Maxime Villaeys/Musée National de Préhistoire, les Eyzies

Prise globalement, cette culture, contemporaine du dernier maximum glaciaire, livre un important registre d’innovations techniques et de manifestations symboliques : ces prouesses de la taille de la pierre sont accompagnées de nouvelles techniques (pression pour le façonnage des tranchants ; chauffe intentionnelle des objets pour améliorer leur aptitude à être taillés, et ainsi la finesse de leur tranchant) ; très grande variété des matières employées signalant de vastes territoires intensément parcourus (figure 2) ; premières aiguilles à chas (figure 3) ; premiers propulseurs ; décors et pendeloques diversifiées (figures 4). Les restes humains particulièrement rares semblent avoir fait l’objet d’un traitement spécifique (figure 6).

figures 2 / 3 / 4 / 6 / 8

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1-Aiguille à chas en os, bois de renne ou ivoire /2-Bovidés sculptés sur bloc/3-La rare pointe à face plane/4-Pointe à cran/5-Boutons en os ou ivoirei - © Philippe Jugie/Maxime Villaeys/Musée National de Préhistoire, les Eyzies

Toutes ces singularités sont concentrées dans les stades les plus récents de l’évolution du Solutréen. Or, pour comprendre la mise en place de cet épisode singulier, la découverte de Fragnes-la Loyère est fondamentale : daté du Solutréen ancien, ce gisement particulièrement bien préservé pourrait nous aider à mieux comprendre dans le détail les adaptations des groupes humains à l’épisode climatique particulièrement rigoureux qui a touché l’Europe lors du dernier maximum glaciaire. Par exemple, l’outil lithique qui le caractérise, la pointe en face plane (figure 8), semble montrer la voie vers les fameuses feuilles de Laurier, le début du façonnage bifacial.. En sera-t-il de même pour les autres registres de vestiges ?

figure 7 - Dans une petite cavité du site du Piage à Fajoles (Lot), Jean-Guillaume Bordes et son équipe ont découvert un crâne, seul reste humain daté du Solutréen.

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Dans une petite cavité du site du Piage à Fajoles (Lot), J-G. Bordes et son équipe ont découvert un crâne, seul reste humain daté du Solutréen - © Xavier Muth / Get in Situ
Année :
2024
Durée :
30 min
Année :
2024