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Mis à jour le
02 avril 2024
Collection
Carbone 14

Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.

Avec Christophe San, directeur de l'institut d'archéologie de la Nouvelle Calédonie.

Pourquoi la dépopulation des peuples du Pacifique, après les premiers contacts européens, a-t-elle été si peu évoquée, voire minimisée ?

La conquête du Pacifique, par des communautés originaires de la mer de Chine, ce que l’on dénomme l’expansion austronésienne, constitue, à elle seule, une des plus extraordinaires migrations de l’histoire de l’humanité. Celle-ci est désormais bien étayée par l’archéologie, la linguistique et la génomique.

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Mappemonde plaçant l'Océanie au centre des continents. - © Crozat, 1834

L’Océanie et ses îles

L’Océanie, véritable continent, s’étirant des îles Mariannes à la Nouvelle-Zélanded’Hawaï à l’île de Pâques, est ainsi constituée de toute une incroyable diversité de populations comme d’une multitude de langues.

Cet univers ne fut découvert que tardivement par des expéditions, espagnols, anglaises ou européennes, dont les plus célèbres sont celles de Samuel WallisLouis-Antoine de Bougainville ou James Cook, mais fut très rapidement intégré dans la mondialisation de l’époque. Le « first contact », ces moments de découvertes, ont été largement relatés par navigateurs et explorateurs, mais celui-ci constitue, de fait, la fin d’un monde pour l’ensemble des communautés insulaires. Pour autant que s’est-il passé après ?

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Le Capitaine Wallisrend visite à la Reine Oberea. Gravure de la rencontre de l'équipage de Wallis avec Purea en 1767, face à un très grand fare de réception - © De La Harpe, 1780

Jusqu’à 95% de la population décimée

Tuberculose, variole, lèpre, oreillons rougeole, syphilis, voire peste, sont les conséquences directes de ces premiers contacts. Tahiti est atteinte en 1767 par Wallis. Bougainville s’y arrêtera l’année suivante ; un an plus tard, les marins de Cook découvrent nombre de villages désertés, témoins des ravages des maladies introduites par leurs prédécesseurs.

Une des îles les plus isolées du Pacifique, l’île de Rapa (Iles australes françaises) est découverte par George Vancouver, le 22 décembre 1791, qui en estime la population entre 1 500 et 3 000 âmes. Un projet d’évangélisation et l’arrivée de marchands, entraînent la récurrence d’infections sur des populations non immunisées, et voit la disparition de la majorité de la population : 500 personnes en 1836, 160 en 1846, en quelque 76 ans, un minimum de 95 % de sa population a disparu. Aujourd’hui, Rapa n’est peuplée que de 512 habitants.

Armes à feu, alcool mais aussi le blackbirding, achèvent de décimer la population. L’Île de Pâques (Rapa nui) qui, en 1720 comptait environ 10 000 habitants est l’objet de ce blackbirding, traite forcée de populations autochtones en vue de fournir une main d'œuvre dans les mines et plantations coloniales. 160 ans après sa découverte, l’Île de Pâques ne possède que 111 insulaires polynésiens.

« Un silence de mort », tels sont les mots de certains voyageurs du XIXe siècle parcourant les villages vides de l’Océanie. Avec une population de 3 millions d’individus, l’Océanie ne sera peuplée que de 410 000 âmes en quelques décennies. Ce processus vertigineux de dépeuplement ne sera enrayé que fort tard, parfois après la Seconde Guerre mondiale.

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La plate-forme et le mur de protection extérieur de l'ensemble funéraire mégalithique de Nan Dawas du site de Nan Madol, sur l'île de Pohnpei (Micronésie). - © Christophe Sand

L’archéologie d’une hécatombe

Mettre en miroir des textes des premiers contacts avec des données de traditions orales, des écrits missionnaires et coloniaux, des récits d’aventuriers, ainsi que des synthèses scientifiques, publiés par des démographes historiques, mais surtout des archéologues, est l’enjeu de cette recherche. L’archéologie, et notamment les nouvelles techniques du Lidar, mettent en lumière, au travers de terrasses horticoles abandonnées à flanc de montagne, ou de murs (parfois cyclopéens) des anciens villages désertés, une démographie des sociétés « pré contact » bien plus forte que soupçonnée. Toutefois, seules quelques fouilles ont livré les témoins de ce drame humain. Dans l’archipel de Wallis, un charnier épidémique du début du XIXe siècle, et contenant de petites perles de verroterie bleues, a été mis au jour sur l’île d’Uvéa, toutes les sépultures étant liées à un lignage familial du seul village de Vailala, cela signifiant que les morts d’autres lignages ont été enterrés ailleurs.

Aux Tuamotu, la fouille d’un temple (marae) a livré des sépultures, datées des années 1850, peut-être liées à ces épidémies, mais dont le monument et l’histoire étaient désormais tabous.

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Exemple de grande plate-forme cérémonielle sur la côte orientale de l'île de Oahu à Hawai'i. - © Christophe Sand

Traumatisme historique trans-générationnel et résilience

Cette mortalité entraîne un processus de déstabilisation sociale, politique et même symbolique en Océanie. Elle voit la recomposition et/ou l’effondrement des hiérarchies insulaires entraînant une multiplication des conflits intercommunautaires à l’échelle de l’Océanie. Les océaniens ont encore en mémoire ces temps effroyables, le « souvenir » des épidémies passées, transmis par les traditions orales. Face à ce traumatisme historique trans-générationnel, un formidable processus de résilience s’est opéré.

Aujourd’hui, la « mort » de la culture et des traditions, liée à la mondialisation, est un héritage direct de cet effondrement démographique.

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Deux hommes polynésiens (canaques) de l'archipel des îles Gambier, à la fin du XIXe siècle. - © Reclus, 1889

Pour aller plus loin

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Christophe Sand et la couverture de l'ouvrage - © DR / Marion Tigréat / Au vent des îles, 2023
Année :
2024
Durée :
30 min
Année :
2024