À la Veuve, dans l'ancien territoire des Rèmes, l'Inrap a dégagé les vestiges d'un établissement rural gallo-romain plusieurs fois remaniés du Ier au IVe siècle.

Dernière modification
22 février 2021

Du 20 janvier au 6 mars 2020, une équipe d’archéologues de l’Inrap a mené une fouille sur prescription de l’État (Drac grand Est) à La Veuve (Marne), près de Châlons-en-Champagne. En amont de travaux conduits par la commune pour l'aménagement d’une micro-crèche et de futurs parcelles à lotir, cette opération a permis de mettre à jour des bâtiments de l’époque gallo-romaine et d'appréhender leurs évolutions successives du Ier au IVe siècle.

Un bâtiment romain de taille moyenne en campagne

L’intérêt principal de cette fouille réside dans l’observation de l’évolution architecturale du site gallo-romain au cours du temps, un bon exemple dans la campagne marnaise, ancien territoire des Rèmes (Remi) alliés de Rome depuis la guerre des Gaules.
Les archéologues étudient notamment l’évolution du bâtiment principal, dont ils ont d’abord pu appréhender les fondations en craie damée. Ce grand bâtiment de quinze mètres sur quinze à façade tripartite orientée à l’est, bénéficie par ailleurs d’un mur d’enceinte présent sur au moins deux côtés (ouest et nord). Ce dernier est relié à un plus petit édifice à l’est. Les vestiges découverts permettent aussi de reconstituer le cloisonnement probable des pièces. Cet édifice « en dur » a été construit au cours du Haut-Empire (fin Ier- IIe siècles), sur deux niveaux, comme en témoignent les traces d’un escalier en bois. Lors de la fouille, un édifice antérieur, de gabarit similaire, mais élaboré cette fois en matériaux périssable (bois), a également été observé sous les niveaux de sols conservés. Celui-ci, de plan analogue, se distingue néanmoins par une orientation différente, avec une façade orientée semble-t-il vers le sud. De même, le mur d’enceinte semble avoir subi une réfection au cours du temps, en parallèle de celle du bâtiment sans doute car un état antérieur a également été reconnu.
L’interprétation de cet édifice interroge : avec plus de 200 m2 au sol est-ce le bâtiment principal d’un établissement rural ou bien une annexe d’un complexe plus important ?

Plan général du site.


Les chercheurs ont par ailleurs retrouvé les vestiges de deux dépôts de fondation, pratique courante à l’époque romaine, à la fois point de repère géométrique sur le site et rituel entérinant juridiquement la construction.
Le premier est localisé sous le mur d’enceinte, matérialisé par une petite fosse quadrangulaire contenant au moins une cruche retournée, sans doute pour des offrandes alimentaires. Cette petite cruche, découverte fragmentée, est typique des productions de l’atelier de Saint-Remi (Reims) qui fabriquait ces poteries entre le Ier et le IIIe siècle.

Fosse / dépôt de fondation (F402) au niveau du mur d’enceinte nord.

Fosse / dépôt de fondation (F402) au niveau du mur d’enceinte nord.

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Inrap


Le second dépôt est plus complet, en lien peut-être avec le premier état du bâtiment principal. Il se présente sous la forme d’une fosse quadrangulaire contenant également des vases, notamment une cruche similaire mais aussi une assiette en sigillée précoce ainsi que deux couteaux en fer, des artefacts à relier à la cérémonie votive associée à la fondation. Des clous de menuiserie retrouvés à différentes altitudes sur les pourtours de la fosse attestent que ces éléments étaient contenus dans un coffre en bois aujourd'hui disparu.

Un habitat témoin de l’évolution de l’occupation en campagne dans le territoire des Rèmes

Les archéologues ont déterminé quatre probables phases d’évolution de ce petit domaine rural : un premier état dans le courant du Ier siècle, où le bâtiment principal a été construit en matériaux périssables et dont il reste les empreintes des poteaux. Bien que légèrement déplacé, son plan reste très proche de celui du bâtiment édifié ensuite en dur, à partir de la fin du Ier siècle ou au cours du IIe siècle. Cet habitat semble ensuite abandonné puis démoli sans doute dans le IIIe siècle. Enfin, les archéologues ont observé une quatrième étape du milieu du IVe siècle, une nouvelle occupation ou une activité liée à la récupération des matériaux. Des céramiques, monnaies, objets divers (outils, etc) et datables témoignent aussi de ces occupations successives.

Cette fouille révèle un bâtiment dont l’étude est d’autant plus intéressante que peu de fouilles régionales ont mis au jour des édifices de ce type et aussi bien conservés, au statut dit « intermédiaire », à mi-chemin entre la petite ferme et la villa gallo-romaine plus cossue.
Par ailleurs, ce bâtiment peut être perçu comme l’un des témoins du statut privilégié des Rèmes, peuple gaulois allié des romains. En effet le territoire marnais, contrairement à d’autres durant l’occupation romaine, n’a pas été structuré par la présence de grandes villas, même si quelques-unes sont attestées. Les Rèmes ont en effet souvent eu la possibilité de préserver leur patrimoine en échappant aux habituelles expropriations effectuées par les romains, lesquelles ont eu une incidence certaine sur la structuration du territoire jusqu’à nos jours.

Aménagement : Commune de La Veuve
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie Drac Grand-Est
Recherche archéologique : Inrap​
Responsable scientifique : Benoît Filipiak, Inrap