En 2018, dans le cadre de l’aménagement du Parc industriel de la Plaine de l’Ain (PIPA), l’Inrap a fouillé un vaste ensemble funéraire antique exploité du milieu du Ier s. av. J.-C. jusqu’au milieu du VIIe s. apr. J.-C. Situé le long d’une voie ancienne, à 400 m en sortie nord de l’agglomération antique (village actuel de Saint-Vulbas), cet ensemble a livré un total de 1091 structures réparties en 554 inhumations, 212 crémations, 30 enclos funéraires et 195 structures funéraires de nature indéterminée. Les études de post-fouille livrent aujourd'hui une foison de résultats sur l'évolution des rites funéraires antiques. 

Dernière modification
24 janvier 2024

Les limites de l’ensemble funéraire

La zone sépulcrale s’installe à l’est d’une voie préexistante et ses fossés bordiers. Au cours du temps, apparaissent d’autres éléments structurant l’espace funéraire. Il s’agit tout d’abord d’un fossé curviligne matérialisant la limite nord dès la période augustéenne (27 av.-14 apr. J.-C.) et perdurant durant toute la période d’utilisation de l’ensemble funéraire.

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Plan général de l’ensemble funéraire (levé topographique Julie Boudry, SIG Julie Boudry, Christine Ronco, Dao Christine Ronco).

© Inrap


C’est probablement à partir des années 20 apr. J.-C. que se met en place le fossé bordant le côté oriental de la nécropole. Entre la fin du Ier et la fin du IIe s. apr. J.-C., ce fossé revêt une importance dans le fonctionnement des pratiques funéraires puisqu’il est utilisé comme zone de rejet, notamment de récipients. En effet, son comblement comporte principalement des pots à cuire et cruches, servant probablement à apporter les aliments et boissons destinés au repas funéraire ou aux commémorations.

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Figurine votive en plomb jetée dans le fossé bordier oriental.

© Tiphaine Gaime, Inrap

Chronologie et organisation

L’aire funéraire est exploitée sur une longue période allant du milieu du Ier s. av. J.-C. jusqu’au milieu du VIIe s. apr. J.-C. soit pendant près de six siècles. À partir de 50 av. J.-C., l’aire funéraire s’installe durablement avec quelques sépultures éparpillées, et la mise en place des premiers enclos funéraires fossoyés. Entre 15 av. et 15 apr. J.-C., les quelques dizaines de tombes rattachées à la deuxième phase se répartissent en plusieurs « noyaux » diffus et relativement distants. Entre 15 et 30 apr. J.-C., la totalité de l’espace alors entièrement délimité par la voie et les fossés, commence à être investie. À partir des années 30, l’extrémité nord continue de se densifier et regroupe des sépultures riches en mobilier. Une zone de fosses-bûchers s’installe au nord du fossé curviligne, puis aussi à l’ouest de la voie, et perdurera jusqu’à la fin du IIe s. apr. J.-C. C’est également à partir de la fin de l’époque tibérienne (14-37 apr. J.-C.) qu’un système d’enclos fossoyé va se développer et attirer des structures à inhumation comme à crémation dans et autour de leurs fossés.

La dernière phase d’utilisation de l’ensemble funéraire s’étale entre le milieu du IVe et le milieu du VIIe s. Cette large amplitude chronologique s’explique par une raréfaction du mobilier datant. Les sépultures datées entre 300 et 450 apr. J.-C. continuent d’être installées dans le fossé bordier de la voie ou au sud de la parcelle, tandis qu’au début du IVe s., elles occupent des secteurs précédemment désertés comme le long du fossé bordier de la voie ou au nord-est de la zone sépulcrale. Les enclos disparaissent et les inhumations s’organisent dorénavant en rangées globalement orientées nord-sud.

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Vue générale de la fouille d'un ensemble funéraire à Saint-Vulbas (Ain).

© Romain Etienne, Item, Inrap 

Les enclos fossoyés

Dès 50 av. J.-C., la mise en place d’enclos funéraire fossoyés matérialisés par un simple fossé étroit, jouent un rôle prépondérant dans l’organisation de l’ensemble funéraire. Un seul de ces enclos a livré une inhumation de périnatal en son centre. Pour tous les autres, l’absence de structure centrale reste énigmatique. L’espace vide était-il présent dès l’origine et prévu pour un autre usage ? Servait-il de jardin funéraire ? Il n’est toutefois pas exclu que d’autres tombes centrales moins profondément enfouies ou installées sous un tertre aient disparu du fait de l’érosion.
Par ailleurs, ces enclos ont pour particularité de concentrer les tombes dans leurs fossés et non en leur sein. Ils semblent clairement avoir joué un rôle d’attraction probablement pour des sépultures d’individus apparentés ou socialement liés.

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L'enclos 3151 et les sépultures regroupées dans les fossés (orthophographie Julie  Boudry, dao Christine Ronco, Inrap).

© Inrap

En dépit de leur état de conservation parfois mauvais, au moins quatorze enclos semblent fonctionner entre 30 et 300 apr. J.-C. Des divergences dans le type de structures installées dans les fossés apparaissent. Jusqu’au milieu du Ier s. apr. J.-C., il s’agit exclusivement d’inhumations et très majoritairement de tout-petits, tandis qu’à partir de 60 apr. J.-C. on retrouve des inhumations et des crémations associées à des défunts d’âges variés. Seuls deux enclos du IIe s. font figure d’exception puisqu’ils semblent associés uniquement à des résidus de crémation.

La visibilité de ces enclos semble avoir perduré pendant plusieurs siècles, puisque les espaces vides centraux ont été préservés.

La coexistence des rites, crémations et inhumations

Les pratiques de l’inhumation et de la crémation coexistent sur le site dès le début de son occupation funéraire à la fin du Ier s. av. J.-C. La proportion d’inhumations est toutefois largement supérieure à celle des crémations puisqu’elles représentent un peu moins des trois quarts de l’effectif. Ce ratio évolue peu jusqu’à la fin du premier tiers du Ier s. apr. J.-C.. Le recours à la pratique de la crémation devient ensuite majoritaire et trouve son apogée entre 60 et 100 apr. J.-C. Puis son usage décline rapidement à partir du IIe s. Encore attestée dans le courant du IIIe s., la crémation semble avoir disparu de l’espace funéraire dès le début du IVe s. apr. J.-C. au profit de l’inhumation dont la pratique devient alors exclusive. 

Les dépôts en ossuaires, qui dominent les structures à crémation jusque vers le milieu du Ier s. apr. J.-C., sont principalement composés d’un contenant unique (vase, coffrage, coffret, enveloppe souple, contenant semi-rigide type « panière »). Les cas de contenants doubles associent souvent une enveloppe souple avec un coffret ou un vase. Existent également de rares exemples de contenant triple. À partir des années 30, le recours à la crémation monte en puissance avec l’apparition des premiers dépôts de résidus et fosses-bûcher.

En ce qui concerne les inhumations chez les sujets de taille adulte, l’ensevelissement en pleine terre est une pratique peu fréquente mais relativement constante dans le temps du début du Ier s. à la fin du IIIe s. apr. J.-C., période après laquelle elle semble disparaître. Tandis que les autres modes d’inhumation témoignent de variations plus notables : l'utilisation des fosses couvertes, très en vogue à l’époque augustéenne, connaît ensuite une forte diminution jusqu’à la fin de l'exploitation de l’aire alors que la présence d’un contenant (en bois, en pierre et/ou en tuile) augmente progressivement depuis la fin du Ier s. av. J.-C. pour atteindre son apogée lors de la dernière phase. Pour le Haut-Empire (Ier-IIe s. apr. J.-C. ), l’emploi de cercueils domine très largement mais la présence de coffrage est également ponctuellement attestée.

Les coffrages sont en bois ou mixte, tandis que les cercueils sont tous confectionnés en bois et assemblés par des clous. À partir de l’Antiquité tardive, des changements majeurs interviennent : l’utilisation de coffrages en bois ou mixte augmente fortement, de véritables coffrages en pierre émergent et l’utilisation de cercueils monoxyles remplacent désormais les réceptacles cloués.

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Un coffre de pierre contenant un homme adulte daté entre le milieu du VIe et le milieu du VIIe s. apr. J.-C.

© Inrap


Le cas des tout-petits

Les tout-petits, c’est-à-dire les enfants de moins de un an, sont bien représentés durant toute la période d’utilisation de l’ensemble funéraire avec un corpus de 160 individus. Une telle proportion de très jeunes défunts est rarement retrouvée en contexte archéologique. Ils sont très majoritairement inhumés (seuls quatre ont été assurément crémés).


Pour la période augustéenne, la majorité des enfants sont inhumés au sein d’un contenant et jamais directement en pleine terre. Au Haut-Empire, l'inhumation en cercueil cloué reste fortement usitée et à partir du deuxième quart du Ier s., des coffrages en bois ou mixte se développent. Puis, comme pour les plus âgés, c’est au cours de l’Antiquité tardive, que l’emploi de véritable coffrage en pierre fait son apparition. Si quelques cas de cercueils monoxyles sont également attestés chez des immatures, la majeure partie des contenants périssables reste assemblée par des clous et contrairement aux pratiques observées chez les adultes, les cercueils cloués traditionnels ne déclinent pas.

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Fouille d'une sépulture dans l'ensemble funéraire de Saint-Vulbas (Ain).

© Romain Etienne, Item, Inrap 

Enfin, concernant le cas des tout-petits, si l’emploi de cercueils reste majoritaire, une particularité est à noter à la fin du Ier s. avec l’apparition des coffrages composés de deux imbrices (tuiles rondes) superposées.

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Un périnatal inhumé dans un coffrage constitué d’imbrices.

© Laure Tarquis, Inrap




Un mobilier remarquable

La spécificité de l’ensemble funéraire de Saint-Vulbas est la présence de très nombreux immatures avec environ 200 vases de petites tailles. Si l’usage des petits vases en contexte funéraire est bien référencé en particulier pour les enfants mais pas exclusivement, aucun ensemble funéraire régional n’avait livré autant de vases de taille réduite. Ils ne sont toutefois pas strictement réservés aux enfants puisqu’on les retrouve régulièrement en petite quantité chez les adultes dans les inhumations et comme dans les crémations.

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Enfant entre un et 6 ans inhumé en cercueil cloué avec des dépôts de neuf vases en céramique, deux monnaies, une fibule, un bracelet et un dépôt alimentaire de coq domestique.

© Inrap

Entre 15 av. et 60 apr. J.-C., les enfants sont nettement mieux dotés en mobilier que les sujets de taille adulte. Ainsi le nombre moyen de dépôts double pour les défunts de un à sept ans par rapport aux adultes, aussi bien dans les inhumations que dans les crémations. Entre 60 et 200 apr. J.-C., la différence de traitement liée à l’âge s’estompe. Les dépôts de céramique sont majoritaires et souvent associés à des objets de petit mobilier, notamment de nombreux éléments de parure dont la fonction symbolique reste probable.

Plusieurs traitements particuliers sont visibles sur les vases, allant de la découpe du bord des cruches, coupelles, assiettes et gobelets ou des pieds de vases, à l’arrachement des cols ou des anses avec parfois plusieurs gestes sur le même vase.

Le tesson du bord découpé peut être présent dans la tombe à distance du vase. Le bris des vases concerne essentiellement les cruches et les amphores. Ces vases étant destinés à contenir des liquides, le lien avec les pratiques libatoires est à privilégier. L’amphore n’est jamais présente en entier ; seuls quelques tessons sont dispersés probablement à la manière d’une pars pro toto (« une partie pour le tout ») qui consiste à représenter symboliquement l’objet. Il s’agit vraisemblablement d’assurer par la présence de ces quelques tessons que les rites ont été effectués comme il se doit.

Aménagement : SMPIPA
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Auvergne Rhône-Alpes)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Christine Ronco, Inrap
Responsables archéo anthropologues : Aurélie André, Natacha Crépeau, Inrap