À Montescourt-Lizerolles, l'Inrap fouille le quartier artisanal d’une agglomération gallo-romaine encore totalement inconnue. Plus d'une vingtaine de fours de potiers ont été mis au jour soulevant de nouvelles questions sur le mode de fabrication de ces structures, leur production et de possibles rituels de fondation et d'abandon.

Dernière modification
19 août 2020

À l'occasion de travaux de lotissement réalisés à Montescourt-Lizerolles, à 12,2 km au sud de la ville de Saint-Quentin, l'Inrap a fouillé une officine de potiers. Logé sur une petite butte sableuse, le site est proche de moins de 2 km de gisements d’argile. Une nappe perchée, à moins de 1,50 m de profondeur, permet un approvisionnement aisé en eau. Plus de 350 structures ont été mises au jour. Exceptée une douzaine d’impacts de la Première Guerre mondiale, les découvertes sont centrées sur les IIe et IIIe siècles de notre ère.

Une officine de potiers

Plus de vingt fours de potiers ont été découverts et constituent l’intérêt principal du site. Ils se concentrent sur 0,42 ha. Un seul exemple de four est à deux volumes ; il comprend un unique alandier (couloir faisant la liaison entre les fosses de travail où s'effectuent les combustions et le four où sont posés les vases à cuire) et un laboratoire (ou chambre de cuisson). Les vases déposés dans la chambre sont alors exposés directement aux flammes. La plupart sont des fours à un volume ou « en grain de café » : la chambre de chauffe – en position centrale – est alimentée par deux alandiers opposés, plus rarement un seul. Un conduit central et une rigole périphérique permettent à la chaleur de se propager dans l’ensemble du four.

 les alandiers sont noirs car charbonneux. Le four ressort par la rubéfaction (de couleur rouge/orange). On perçoit le canal central et la rigole périphérique qui donne un dessin « en grain de café ».

Début de fouille d’un four : les alandiers sont noirs car charbonneux. Le four ressort par la rubéfaction (de couleur rouge/orange). On perçoit le canal central et la rigole périphérique qui donne un dessin « en grain de café ». 

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Denis Maréchal, Inrap

Quatre fours ont été dernièrement mis au jour, dont deux fours à un volume  qui se recoupent (1020 et 1030), le premier étant plus récent que le second. Les premiers éléments (mobilier métallique) laissent établir un abandon à la fin du IIIe siècle. Le four 1030 se présente comme un grain de café « classique » avec une fosse de travail conservée sur 40 cm. Il faut noter que les parois sont tapissées de calcaire.

La seconde fosse située au sud a disparu lors de l'édification du four 1020 et de ses fosses. Ces dernières sont plus profondes (1 à 1,25 m) et plus grandes. Le four central est aussi mieux conservé (supérieur à 1 m/en cours de fouille). Comme souvent, l'observation des parois permet de déduire plusieurs réfections. Du fait de sa profondeur élevée, il est bien préservé.

Il existe ainsi au moins quatre états dans l'alandier, et donc probablement autant de soles (dalle suspendue et perforée, pour aller chauffer la charge à cuire déposée dans le laboratoire). Il a été noté que la plus récente correspondait à un niveau de tuiles posées à plat. Les états suivants sont eux dans la norme du site avec deux soles en argile. Le canal central séparant ses dernières et les rigoles périphériques définissent le plan en grain de café.

Ces fours – lors de l'abandon définitif – servent de réceptacle aux anciens déchets de cuisson. C'est pourquoi on retire de très nombreux fragments de céramiques, fréquemment de très petites tailles (donc très remaniés).

Dépotoir final. Dans cet alandier un important amas de vases cassés et incomplets a été rejeté en fin de comblement. Un travail de remontage des vases va être entrepris en phase étude.

Dépotoir final. Dans cet alandier un important amas de vases cassés et incomplets a été rejeté en fin de comblement. Un travail de remontage des vases va être entrepris en phase étude.

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Denis Maréchal, Inrap

La fouille méticuleuse de ces structures doit aussi permettre de mettre en évidence certains gestes de condamnation volontaire qui peuvent se traduire par des dépôts de vases ou de matière premières en particulier. La fouille en cours pourrait confirmer ce type de pratique. 

Dépôt de vases ? Dans ce four, une trentaine de vases ont été déposés avec soin dans le four. On pense à un geste de condamnation car les récipients fragiles n’ont pas été balancés mais posés les uns sur les autres.

Dépôt de vases ? Dans ce four, une trentaine de vases ont été déposés avec soin dans le four. On pense à un geste de condamnation car les récipients fragiles n’ont pas été balancés mais posés les uns sur les autres. 

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Denis Maréchal, Inrap

 

Étude de la construction et de l’utilisation des fours

Lors de la fouille, les archéologues découvrent le dernier état de fonctionnement des fours et leur abandon. L’intérêt est de comprendre comment ils ont été façonnés, utilisés et entretenus. C’est pourquoi les archéologues doivent démonter complètement une structure pour la comprendre. Il est possible de percevoir des dépôts de fondation mais aussi ceux liés à la condamnation. Seule une fouille minutieuse et exhaustive permet ce type de remarque.

Compréhension de la construction du four. Cette coupe réalisée en fin d’intervention permet d’observer comment le four a été construit, entretenu et réparé. Dans ce cas, on voit que les plateaux (parties hautes encadrant le canal central) ont été rehaussés au moins une fois (différentes couleurs blanc/gris), et que les parois ont été relûtées (différences de couleur des parois).

Compréhension de la construction du four. Cette coupe réalisée en fin d’intervention permet d’observer comment le four a été construit, entretenu et réparé. Dans ce cas, on voit que les plateaux (parties hautes encadrant le canal central) ont été rehaussés au moins une fois (différentes couleurs blanc/gris), et que les parois ont été relûtées (différences de couleur des parois).

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Denis Maréchal, Inrap


Par ailleurs, toute une série de prélèvements d’argiles dans les fours et dans des fosses en périphérie, doivent être analysés chimiquement pour savoir si différents ateliers de potiers peuvent être mis en évidence, chacun ayant sa propre pâte mêlant argile et dégraissant (ici le sable en particulier).

Les charbons des alandiers seront étudiés par un anthracologue pour déterminer quelles essences de bois étaient employées pour la combustion. Enfin, des prélèvements paléo-magnétiques vont permettre d’obtenir des datations qui seront croisées avec celles issues des tessons des comblements et des recoupements avec d’autres structures.

Les fours sont souvent isolés d’une dizaine de mètres des autres fosses. A Montescourt-Lizerolles, peu de structures liées aux fours, comme celles liées à la préparation ou au tournage, ont été mises au jour. Vu l’exiguïté des parcelles, ces structures doivent se situer hors de l’emprise de la fouille.

La proximité d’autres structures

Sur le site, les archéologues ont également identifié la périphérie d’une agglomération et d’autres activités. Ainsi, il a été dégagé un four à chaux. La craie dont les gisements sont à moins de 2,5 km est chauffée pour obtenir de la chaux qui est utilisée dans la construction.

Un grand four à pain a également été fouillé. Des prélèvements intérieurs ont été effectués qui seront analysés (par les carpologues) pour déterminer quelles céréales étaient consommées. Malgré un mauvais état de conservation lié à l’acidité des sols, les os d’animaux seront étudiés par une archéozoologue pour inventorier la faune (bœuf, porc et mouton principalement) et donc comprendre les pratiques alimentaires. La découverte récurrente de scories suggère enfin l’existence probable d’artisans forgerons à proximité.
 

Les caractéristiques de la production de céramiques

Les céramiques produites sur place sont des productions communes servant au quotidien. Les travaux des céramologues vont devoir distinguer les différentes productions, mais aussi chercher à retrouver des traces de la diffusion de ces vases dans la région. Le fait que cette agglomération, avec son officine de potier, soit située à moins de 2 km de la voie reliant Saint-Quentin à Soissons, et à moins de 7 km de la voie fluviale que constitue la Somme est un point important. Par ailleurs, d’autres voies secondaires passent sans doute dans l’agglomération qui n'est révélée que sur une très faible surface. Une petite portion d’un chemin, délimité par des fossés, a été identifié sur deux des parcelles fouillées.

Par la détection de plus d'une vingtaine de fours, le site de Montescourt-Lizerolles constitue donc un site majeur gallo-romain. Les découvertes des prochains mois lors de la fouille des derniers lots du lotissement devraient encore étoffer ce corpus.

Voir le dossier multimédia Archéo-mémo Autour du feu, l’exemple des potiers de Montescourt-Lizerolles (Aisne)

Aménagement : Particulier
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Hauts-de-France)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable des recherches archéologiques : Denis Maréchal, Inrap