La “bronzisation“, une étape charnière

Si la métallurgie du bronze a pu se développer loin des régions où elle a vu le jour et loin des sites producteurs de cuivre et d’étain, c’est parce que des réseaux d’échanges sur de longues distances existaient et fonctionnaient déjà. Les métaux nécessaires à l’alliage ne sont pas les seuls à circuler : qui livre de l’étain – ou l’or – dans les pays du Nord repartira chez lui chargé d’ambre ou de sel.

Complémentarité des régions

Le sel fait incontestablement partie des échanges européens dans l’économie de l’âge du Bronze. Il n’existe pas partout à l’état naturel. Dans les régions côtières ou près des sources salées, il est évaporé ou chauffé dans des godets en céramique, tandis que l’exploitation minière de sel gemme fait de timides débuts à l’intérieur du continent. Substance primordiale, il est distribué des régions riches en sel aux régions qui en sont dépourvues.

 

Divers outils ou armes, telles les haches, circulent également. Les poteries voyagent aussi, mais surtout en tant que contenants car, en raison de leur fragilité, les ustensiles de la vie quotidienne sont surtout de fabrications locales.

 

Doit-on conclure qu’un véritable et régulier réseau d’échanges internationaux existait déjà à l’âge du Bronze, reliant producteurs et consommateurs à l’échelle européenne ? En tout cas, peu de régions semblent ne pas avoir été touchées.

Un début de globalisation à l’échelle européenne

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Quelques épaves de bateaux, telle la pirogue datant de l’âge du Bronze dont une partie (ci-dessus) a été découverte à Rouen en 1995, témoignent des liens commerciaux importants qui existaient dès cette époque en Europe. L’avènement de la métallurgie a en effet redessiné les courants commerciaux – le métal circule sur de grandes distances – et les réseaux d’échange mis en place autorisent aussi la circulation d’autres matériaux ou productions, comme par exemple le sel.

En fait, l’adoption progressive mais quasi absolue de ce nouveau matériau a provoqué un changement important dans les sociétés des IIIe et IIe millénaires. Ce que l’âge du Bronze a inventé, c’est une interconnectivité fondée sur le commerce des métaux, qui a à la fois fondé et boosté l’économie, favorisant en même temps les échanges entre des sociétés parfois fortement éloignées. L’implication dans des réseaux d’échanges à longues distances n’est plus seulement une option mais une condition sine qua non.

 

Ce nouveau système relationnel n’est toutefois pas un événement centré sur un même groupe, si on le considère au niveau européen. Au contraire, il présente de nombreux foyers placés sur ou à la périphérie des secteurs riches en cuivre ou en étain, dans le nord-ouest de la France et le sud de l’Angleterre (culture du Wessex), en Europe centrale (culture d’Unetiče), en Espagne du sud (culture d’El Argar), dans le Sud des Carpates…

 

L’incitation est économique, mais les implications culturelles et sociales. La dispersion du bronze a signifié celle des structures sociales et des modèles culturels. La globalisation qui accompagne les échanges liés au bronze entraîne la circulation des cultures et leur appropriation loin de leurs foyers d’origine, ce phénomène touchant probablement tous les échelons de la population.

La dynamique de l'innovation

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Réplique d’un bateau vieux de 3 500 ans découvert à Douvres (sud de l’Angleterre) en 1992 par la Canterbury Archaeological Trust. Cette réplique, réalisée à l’échelle 50 % avec les matériaux et selon les techniques utilisés à l’âge du Bronze, a prouvé que le bateau de Douvres pouvait naviguer en milieu marin.

Les quelque 1 500 ans qui constituent l’âge du Bronze sont un des moments clefs de notre histoire, à la base de nombreuses innovations généralement attribuées aux périodes plus récentes. En effet, aujourd’hui qui s’imagine que dès 1500 avant notre ère, des bateaux chargés de marchandises voguent sur la Manche participant à un florissant réseau économique avec l’Angleterre ? Qui envisage le territoire national au IIe millénaire  comme un espace largement cultivé, traversé de chemins, découpé en parcelles et mis en valeur par de nombreuses fermes qui n’ont rien à envier aux constructions qui occupaient encore nos campagnes avant-guerre ?

 

Stimulées par la généralisation des échanges et par l’émulation qu’elle suscite, entre régions et à l’intérieur même des régions, les innovations touchent aussi bien l’outillage que les transports, grâce à l’utilisation accrue de lourds charriots à quatre roues, ou l’art de la guerre.

 

Mais les innovations ne se cantonnent pas au domaine technologique. Sans aller jusqu’à parler d’un brassage des cultures, les idées se propagent elles aussi. Elles contribuent à structurer la société, aussi bien dans le domaine de l’habitat (passage du modèle des fermes dispersées à l’habitat groupé et au village que dans celui des pratiques funéraires recentrées sur l’individu, ou cultuelles (sites supra-communautaires comme celui du Mont Bego et vastes complexes comme Stonehenge.

Le bateau de Douvres

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La découverte d’une embarcation à Douvres en 1992 reflète l’importance des relations transmanche au cours de l’âge du Bronze. La vue ci-dessus montre l’ensemble du bateau après son dégagement. Sa forme et ses dimensions (plus de 10 m de long) suggèrent qu’il pouvait transporter un chargement de 2 tonnes. On aperçoit les liens de fixation entre les planches qui formaient le fond du bateau ; il s’agit de branches d’if torsadées vieilles de 3 500 ans !

En 1992, à l’occasion de travaux urbains, les archéologues du Canterbury Archaeological Trust font une découverte exceptionnelle dans le port de Douvres (sud de l’Angleterre) : les éléments, gorgés d’eau mais donc conservés, d’un bateau vieux de 3 500 ans (sa construction a été datée de -1550). Cettes tructure épargnée par le temps mesurait environ 10 m de long pour une largeur un peu supérieure à 2 m.

 

Taillées dans les fûts de très hauts chênes, les deux planches qui formaient la sole étaient plates, réunies à un joint central par tout un système de rails, de taquets, de clés et de cales. Elles étaient assemblées, à l’aide de cordes torsadées en fibre végétales, à deux planches latérales incurvées. L’arrière devait être pourvu d’un large panneau de bois (non retrouvé), à la façon des barques actuelles. Tous les matériaux qui constituaient l’embarcation ont pu être identifiés au cours de son étude, ainsi que les outils employés pour sa construction. Il en ressort que seuls des charpentiers de marine spécialisés peuvent avoir été à l’origine d’une telle réalisation.

 

La forme et les dimensions du bateau de Douvres suggèrent qu’il pouvait transporter un chargement de 2 tonnes. Seize hommes prenaient place à son bord pour le manœuvrer à la pagaie. Ainsi ses vestiges, d’une incroyable qualité, illustrent-ils à la fois les progrès de la navigation maritime réalisés au Bronze final et l’intensité des échanges de part et d’autre de la Manche, entre les régions littorales de l’Angleterre, de la France, de la Belgique et des Pays-Bas.

 

Restauré en 1999, le bateau est aujourd’hui visible au musée de Douvres. En 2012, une réplique à l’échelle 50 % est réalisée avec les matériaux et selon les techniques utilisés à l’âge du Bronze. Mise à l’eau, cette reconstitution a prouvé que le bateau de Douvres pouvait naviguer en milieu marin.