Énigmatiques dépôts de bronze

Tout au long de l’âge du Bronze, mais plus considérablement dans sa dernière partie, des milliers de kilogrammes d’objets en bronze ont été enfouis sous terre, sous forme d’amas plus ou moins volumineux. Que peuvent signifier ces dépôts alors même qu’une bonne partie de l’Europe connaît une économie florissante et que  la métallurgie du bronze est à son apogée ?

Stocks de fondeurs ?

Du XIXe siècle à la fin des années 1970, les archéologues ont penché vers une interprétation « utilitariste » : pendant des périodes d’insécurité, des stocks de métal auraient été mis à l’abri pour une refonte ultérieure, ou simplement pour leur valeur, en attendant des jours meilleurs. Certains dépôts présentent en effet d’importantes quantité de lingots, de ratés de fonderie, d’armes ou d’outils brisés (lames de poignard, d’épée, de faucille, haches…), rassemblés sans ordre apparent. 

 

 

Coffres-forts de commerçants ?

D’autres dépôts, exclusivement composés d’objets identiques (bijoux, épingles, bracelets, haches, pointes de lance) neufs ou utilisés, peuvent être perçus comme des cachettes de marchands. Curieusement cependant, les données morphologiques et les analyses physico-chimiques de ces objets peuvent montrer des provenances géographiques très diversifiées,  ce qui évoque alors plutôt des collections que des articles destinés à la revente. Et puis comment expliquer que nombre de ces objets aient été volontairement pliés ou brisés avant leur enfouissement ?

Trésors ?

Parfois aussi, les objets associés dans un même dépôt semblent former une panoplie – de guerrier, de métallurgiste, de femme puissante… – ou en tout cas un assemblage qui caractérise un personnage précis, masculin ou féminin. Il s’agit en général d’ensembles prestigieux, soit par la qualité soit par la quantité des pièces qui les composent. Si certains éléments (casques, cuirasses, parures, chaudrons…) sont entiers, d’autres ne sont représentés que par un seul fragment, dont la présence symbolise néanmoins l’intégralité de l’objet « sacrifié ». Car – les tests effectués en archéologie expérimentale l’ont prouvé – le bris ou la déformation des divers outils, armes ou parures ne résulte en aucun cas de leur utilisation normale, aussi intense soit-elle.

 

Ou dépôts rituels ?

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Longue de 56 cm, l’épée de Wimereux est typique de la fin de l’âge du Bronze. La forme de sa poignée et de sa lame indique qu’elle a été, à l’époque, importée des îles Britanniques. Elle a été découverte fortuitement en 1913 au pied du fort de Croy, dégagée par l’érosion marine.

Alors que penser de cette étrange pratique des dépôts de bronze, qui semble avoir touché toute l’Europe à la même période ? D’abord que sa signification précise nous échappe, comme tout ce qui touche de près ou de loin au domaine spirituel, qu’aucun document écrit ne documente. Ensuite que cette thésaurisation sans but apparent d’importantes quantités de métal, soustraites aux flux économiques qu’il génère, constitue probablement une manifestation de puissance.

Faut-il chercher une explication dans les lieux où ces dépôts sont le plus souvent retrouvés : à proximité des grands axes d’échanges, routiers ou fluviaux ; loin des lieux de vie ou des nécropoles ; et surtout dans des milieux humides ? Marais, sources, gués, berges ou lits de rivières ont particulièrement attiré les « enfouisseurs de bronze ». Leurs offrandes étaient-elles destinées à honorer des divinités aquatiques, à attirer leur protection pour toutes sortes de traversées difficiles ? Il est tentant d’établir une relation entre la généralisation de l’incinération et l’apparition de ce nouveau type de dépôts : les objets qui accompagnaient autrefois le défunt inhumé dans sa tombe seraient désormais livrés à l’eau comme le corps de leur propriétaire l’avait été au feu.