S'abriter

Les tentes confectionnées à l’aide des voiles récupérées sur l’épave de l’Utile protègent d’abord les naufragés abandonnés, mais ces abris précaires ne résistent sans doute pas aux premières tempêtes tropicales. Les naufragés construisent alors d’étonnants bâtiments en exploitant les matériaux à leur disposition.

Les premiers temps

Une carte manuscrite de l’île réalisée par les marins français rescapés en 1761 et conservée à la Bibliothèque Nationale de France localise le « camp des Français » et le « camp des Malgaches » sur le haut de la plage au nord-ouest, en arrière de la zone du naufrage. Lors de la première campagne de recherches en 2006, les archéologues ont exploré ces secteurs et mis au jour des bouteilles en verre et du matériel métallique, provenant certainement de l’Utile. Ces découvertes recoupent les sources historiques et attestent de l’occupation de ces secteurs par les rescapés juste après le naufrage. Ils utilisent alors pour s’abriter des voiles récupérées sur l’épave et transformées en tentes. Mais, après le départ des Français, les Malgaches changent de lieu de vie.  

Déménagement

Déménagement

Plan d'ensemble des fouilles.

Des témoignages émanant de visiteurs de l’île au XIXe siècle localisent l’habitat des Malgaches abandonnés sur le point haut de l’île, au nord. En 1953-1954, quand la station météorologique française est construite à cet endroit, les aménageurs observent des vestiges d’habitations encore en élévation. Mais, en 2006, plus aucune trace n’est décelable. D’une part, les travaux d’aménagement de la station ont empiété sur le site archéologique et, d’autre part, le sable a tout recouvert. Les quatre campagnes de fouilles successives permettent de redécouvrir les abris en dur édifiés par les Malgaches et d’identifier des phases d’aménagement.

Des bâtiments sans mortier

Des bâtiments sans mortier

Détail de construction d'un mur.

C’est probablement après une tempête que les survivants décident de construire des abris en dur. Ils utilisent pour cela les matériaux à leur disposition. La technique de construction, parfaitement maîtrisée, consiste à construire un mur avec des blocs de corail et de grès de plage. La plupart du temps, un seul parement est réalisé, celui de l’intérieur de la pièce. Il est composé d’une base de plaques de grès de plage ou de gros blocs de corail posés de champ sur leur tranche et sur lesquels sont disposés horizontalement des moellons plus petits et imbriqués. Ainsi, les murs épais (autour de 1,5 m) assurent-ils aux bâtiments une grande stabilité, à même de résister aux vents et à la mer.

Exigüité

Exigüité

Si l'espace interieur des bâtiment mis au jour est petit, les murs mesurent plus d'1 m d'épaisseur et offre une grande résistance aux assauts climatiques.

Les bâtiments, accolés les uns aux autres, ne disposent que d’une seule pièce et d’une seule ouverture, l’entrée. L’espace intérieur est très étroit et suggère qu’une grande partie de la vie quotidienne se déroule plutôt à l’extérieur. Cette exigüité est certainement due à la difficulté rencontrée par les naufragés pour réaliser les toits. Du fait de leur disparition et de la destruction de la partie supérieure des murs lors de la construction de la station météo, on en ignore la composition. Les abris sont orientés dos à l’alizé, ce qui permet de réserver un espace de vie protégé du vent. Ils sont d’abord regroupés autour d’un espace central, puis, les aléas climatiques ont conduit les rescapés à modifier, réaménager et reconstruire leurs bâtiments. Ainsi, quelque temps avant le sauvetage, l’espace de vie s’est-il déplacé vers l’ouest, à l’abri d’un imposant mur qui recoupe l’organisation précédente. L’espace situé à l’est de ce mur semble dévolu à l’industrie.

L’évidence d’une organisation sociale originale

L’évidence d’une organisation sociale originale

Bâtiment interprété comme étant la cuisine.

La réalisation des abris en dur suppose un travail collectif, au cours duquel les savoir-faire de chacun ont été mis au profit de la communauté. Les Malgaches sont même allés à l’encontre de leurs coutumes pour s’adapter aux conditions environnementales de l’île. En effet, à Madagascar, la pierre était réservée à la construction des tombeaux, les maisons étant faites en matière végétale et en argile. Les parements des constructions de Tromelin sont très proches de ceux des tombeaux de Madagascar. Les rescapés ont donc dû surmonter une importante barrière psychologique pour habiter des abris en pierre. De même, la mitoyenneté, leur regroupement autour d’un espace central et leur orientation liée à l’alizé transgressent--ils les règles coutumières établissant l’individuation des habitations et l’orientation selon les points cardinaux. Enfin, les différents états de construction montrent que les rescapés ne sont pas restés prostrés, mais qu’ils ont, au contraire, fait preuve de courage et d’inventivité pour assurer leur survie.