La vie quotidienne dans une villa
Au regard des différentes études de répartition spatiale du mobilier et analyses spécialisées, quelques rares informations semblent se détacher et témoigner d’une partie des activités résidentielles, domestiques, et/ou spécialisées, propres au fonctionnement des établissements gallo-romains du plateau de Saclay.
Deux poids, deux mesures
Outre le fait que les villae gallo-romaines étaient avant toute chose des exploitations agricoles, il n’en demeure pas moins que certaines n'étaient pas de simples fermes dépourvues d'apparat. Les vestiges mobiliers ou immobiliers témoignent du confort et du raffinement à la mode romaine (more romanorum) de quelques-unes d’entre elles. En effet, et comme nous avons pu le voir sur les trois sites mentionnés précédemment, on note la présence de thermes, de système de chauffage, d’arrivées d'eau, de peintures murales et de quelques effets personnels (bijoux, miroirs, monnaies…).
Mais ce « raffinement » et cette vie quotidienne à la romaine ne se manifestaient souvent que dans la pars urbana et étaient relatif aux maîtres des lieux. Les ouvriers (bien souvent des esclaves), les artisans et toute personne membre de la familia rustica ne jouissaient évidemment pas des mêmes conditions de vie. Les travaux auxquels ils étaient employés correspondaient à tous ceux qui sont nécessaires à l'exploitation de la villa (agriculture, élevage, entretien…). Seul l’intendant (vilicus) pouvait bénéficier d’un certain confort, mais les conditions de vie des esclaves étaient très dures, voire misérables, selon les domaines gallo-romains.

Restitution de la villa gallo-romaine mise au jour à Damblain dans les Vosges en 2009 (similaire à celle de La Troche à Palaiseau).
© Inrap - ENSarchitecture Nancy / Laboratoire CRAI – avec le soutien de la DRAC Lorraine – 2014Les témoins liés aux activités domestiques
Hormis les éléments céramiques, les vestiges mobiliers relatifs aux activités domestiques sont assez rares. Le filage et le tissage ne sont illustrés que par de rares fusaïoles. Quelques vestiges signalent la présence de la mouture et de moulins à vocation farinière. Enfin, quelques outils se rapportent à l’aiguisage ou au polissage, mais dans un nombre très restreint.
Concernant les vestiges céramiques, le corpus est généralement composé de vaisselle pour la préparation des mets (jattes, assiettes, plats, mortiers). Il comprend également des récipients pour la cuisson (pots, couvercles, tripodes), pour la présentation (coupes, bols, gobelets), pour la conservation ou la présentation des liquides (cruches, amphorettes, bouteilles) et, enfin, pour le stockage des aliments (dolia, amphores).
Rares sont les éléments relatifs à la présentation, mais quelques céramiques décorées de style sigillée ou de vaisselle en verre coloré ont été mis au jour sur les sites de La Troche et des Trois Mares. Composés à 90% de récipients en pâte commune, majoritairement sombre, les vaisseliers indiquent la grande modestie des parties annexes des villae (en dépit de la présence ponctuelle de fragments de sigillée décorée).
Les témoins liés aux activités agro-pastorales
À la différence des phases antérieures, les témoins propres aux activités agro-pastorales, relativement rares, sont seulement illustrés grâce aux quelques vestiges métalliques, fauniques et carpologiques identifiés sur les sites de La Troche, des Trois Mares ou du Moulon.
Le mobilier métallique laisse apparaître des socs d’araire, quelques outils, des bousandales (renfort pour le sabot des bovidés), ainsi que des sonnailles, dont les modules supposent un usage destiné aux ovi-capridés et aux bovidés.
Les restes animaux sont, au contraire des périodes précédentes, généralement peu nombreux et, hormis quelques cas, relativement dispersés. Les assemblages osseux témoignent donc d’activités variées dans et autour de ces établissements, dirigés, d’après quelques indices (activités cynégétiques, qualité des morceaux consommés), par des personnes de statut relativement élevé. Les grands herbivores, bœufs et, secondairement, les équidés, sont les mieux représentés en nombre et en masse des restes, en rapport aux caprinés et surtout au porc. Cette viande quotidienne est agrémentée de volaille et de gros gibier (cerf et sanglier). La faiblesse quantitative des données n’a pas permis, enfin, de déterminer des aires d’activité au sein des sites, mais on note de nettes différences de qualité entre les parties résidentielles et collectives.
Les vestiges carpologiques (graines) sont de manière générale trop modestes et trop peu spécifiques pour qu'on puisse en tirer des informations sur l'activité domestique ou agricole dont ils résultent. Nous avons néanmoins pu constater la présence récurrente de blé, d’avoine, d’épillets de lentilles, noix, raisins, noisettes, plantes sauvages et même de la coriandre.
Les marqueurs socioculturels

Dépôt céramique gallo-romain à caractère rituel sur le site des Trois Mares à Palaiseau.
© Cyril Giorgi, InrapDe manière tout aussi ponctuelle, quelques rares vestiges, propres aux échanges, aux importations, à la parure et aux activités potentiellement cultuelles, apportent un complément d’informations quant à la sphère sociale des occupants de ces villae.
De nombreuses monnaies ont pu être identifiées (as, quadrans, denier…), mais n’apportent pas réellement d’informations probantes (la présence de monnaies étant courante au sein de villae), tant d’un point de vue économique, que sur le statut des occupants.
Le domaine personnel peut être évoqué par la présence, selon le site, de boucles de ceinture, de clefs en alliage cuivreux, bagues, boutons, miroirs, de quelques anneaux d’un bracelet en lignite et de quelques épingles à cheveux en os.
La céramique présente des éléments d’importation tels les amphores à vin italiques, les vases à nummulites de Picardie ou de l’Oise, les récipients micacés du Morvan, les amphores à huile et à saumure de Bétique, quelques sigillées du centre et du sud de la Gaule.
Seuls quelques rares témoins sont associés aux contextes rituel ou funéraire. En effet, sur le site des Trois Mares, on observe des dépôts céramiques évoquant des dépôts à caractère rituel, dont le sens nous échappe malheureusement. Devant la galerie de façade de la villa du Moulon, une sépulture d’un jeune enfant a pu être identifiée au sein d’une cour-jardin.
Les témoins d’activités artisanales
Sur le site des Trois Mares, les témoins d’activité artisanale concernent une nouvelle fois le travail du fer. Trois foyers de forge datés entre le Ier et le IIIe siècle ont, en effet, été identifiés. Avec une relative concentration spatiale des résidus, un corpus de 4,45 kg de scories et la présence de plusieurs foyers de forge, l’étude paléométallurgique a démontré que l’on pouvait aisément considérer l’activité de forge comme régulière et permanente. De plus, et au-delà d’un simple entretien des outils en fer liés à l’exploitation et aux activités agropastorales présentes sur le site, il semble, au regard de l’intensité et des savoir-faire variés et complexes mis en œuvre, que l’on puisse en déduire une production dépassant largement les besoins ordinaires d’un site rural. Cet excédent aurait pu permettre, en plus de l’entretien des outils et des infrastructures de l’exploitation, également de répondre aux besoins d’autres sites ruraux inclus dans un réseau local.
Sur le site de La Troche, le même type d’activité artisanale a pu être observé, mais semble intervenir avant la mise en place de la villa.