Émissions de radio
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Mis à jour le
30 novembre 2021
Collection
Carbone 14

Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.

Peut-on retrouver des gestes funéraires enfouis sous les cendres de Pompéi ? Récemment, de vastes fouilles ont repris à Pompéi, comme celles de l'archéologue William Van Andringa qui s'intéresse aux pratiques religieuses antérieures au drame de 79 de notre ère.

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Fouille de la sépulture 3D9 qui a livré une quarantaine de flacons à parfum. Ceux-ci n’ont pas été 'ramassés', mais enregistrés par passes de démontage.

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• Crédits : (cliché Flore Giraud - EPHE)


Depuis près de deux décennies, l’équipe de William Van Andringa et Henri Duday fouille à Pompéi. Ces recherches ne portent pas sur l’habitat antique, où d’exceptionnelles fresques sont mises au jour, ni sur l’explosion du Vésuve en 79 de notre ère, mais sur les sanctuaires de la cité vésuvienne. Ainsi l’équipe a investi l’une des nécropoles romaines de Pompéi, la nécropole de Porta Nocera, mais aussi le temple de Fortune Auguste, au nord du forum, et un temple suburbain consacré à Bacchus. Suite à ces travaux, les deux archéologues ont reçu le Grand Prix Simone et Cino del Duca de l'Institut de France, soit la plus haute récompense archéologique française.


John Scheid, professeur au Collège de France, rappelait voici plus de vingt ans, que l'histoire des religions de l'Antiquité était tombée dans une impasse. Ce sont de nouvelles approches archéologiques qui permirent à cette discipline de sortir de ce mauvais pas.

William Van Andringa "John Scheid a compris que le problème des textes, c'est qu'ils ne donnent pas le contenu des rites. Ils n'expliquent pas tout, loin de là. Et qu'il s'est rendu compte que l'archéologie, la matérialité de ce que laisse finalement l'action rituelle, permettait d'aller plus loin dans la compréhension. Finalement, non pas seulement des rites donc célébrés du sacrifice, par exemple, célébrés à l'époque romaine, mais également des pratiques religieuses dans leur ensemble."
William Van Andringa  "Notre ambition était d'abord de révéler des pratiques funéraires, certes, mais de voir comment l'archéologie permettait finalement de restituer des pratiques funéraires dans un milieu extrêmement protégé. Puisqu'à Pompéi, ce qui est quand même extraordinaire, c'est que tout est préservé de manière optimale. L'éruption du Vésuve en 79 a scellé tous les niveaux de sol et les sépultures qui ont gardé leurs marquages, leurs inscriptions. Le point de départ était de profiter de cette préservation exceptionnelle des vestiges pour voir comment, finalement, l'archéologie pouvait nous amener à révéler ces pratiques. On englobait dans les pratiques funéraires, les rites et lorsqu'on parlait de rites, on parlait de pratiques funéraires. En vérité, on s'est très vite aperçus que les rites, ce sont d'abord des gestes à finalité symbolique qui rythment les funérailles et le processus de mise au tombeau des restes du défunt, mais les rites, ne sont qu'une partie des partitions gestuelles élaborée autour des funérailles."
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Tombes de Verania Clara (à gauche) et de C(aius) Veranius Rufus à droite. Les ossements des deux individus ont été déposés dans le caisson en tuile, au 1er plan

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• Crédits : Tous droits réservés


Retrouver les gestes au travers de la fouille

Acte fondamental pour l’archéologue, la fouille a pour objet de questionner le terrain de la manière la plus fine possible, afin d’y relever, enregistrer les traces les plus fugaces, cela afin de pouvoir restituer des gestes « à partir du témoin le plus objectif qui soit, celui de la trace laissée dans le sol. » Ce que nous propose donc William Van Andringa est un manifeste pour une « archéologie du geste ». Celle-ci, au travers de leur reconstitution ouvre une nouvelle manière d'écrire l'histoire, puisque l’archéologie est aujourd'hui pleinement capable de détecter et de restituer le concret de l'action humaine.

William Van Andringa "On parle de nécropoles, on parle de pratiques funéraires ici, mais évidemment, l'ambition est de travailler sur les méthodes qui permettent justement de révéler des séquences gestuelles, quelles qu'elles soient. Ce peut être des pratiques constructives lorsqu'on construit un bâtiment, ou des pratiques culinaires, tout ce que vous voulez. Mais l'intérêt du terrain funéraire, c'est d'abord qu'il recèle une multitude de traces. Enterrer un mort, c'est un processus extrêmement fort, extrêmement traumatique pour une société humaine et qu'il doit maîtriser culturellement, ce qui explique pourquoi la mort laisse beaucoup de traces. "
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Aire de crémation, nécropole de Porta Nocera à Pompéi : la fouille, un laboratoire à ciel ouvert

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• Crédits : (cliché F. Giraud)


Reconstituer les funérailles et les gestes à Pompéi

Lors des funérailles, le mort était incinéré dans l’enclos funéraire. Pour cela, une lampe était allumée au pied du bûcher. Il s’agit d’un acte marquant le début des funérailles, le début de la transformation du défunt. Avant d’embraser le bûcher, de l’huile parfumée était versée sur le corps et quelques offrandes sous la forme d’un peu de viande et/ou quelques fruits, un peu de pain étaient déposées. A la fin de la crémation, les fragments osseux étaient recueillis dans un linge puis déposés dans une urne, issue de la cuisine familiale. C’est à ce moment qu'interviennent des actes forts avec le bris de la lampe, le bris des flacons à parfum ou du gobelet utilisé pour verser un peu de vin sur les os collectés. Le bris rituel mettait alors fin à la séquence. Tout cela a laissé des traces pour l’archéologue, qui restitue le détail des séquences funéraires, les compare. La comparaison et le recoupement de milliers d’informations permettent de restituer la tradition funéraire des Pompéiens. Ce que ces recherches permettent aussi de faire, c'est de raconter des histoires, notamment individuelles, celles de Bébrix petit esclave de 6 ans, de Vosonius Proculus comme celle de Phileros et la malédiction de son ancien ami.
 

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Usage funéraire du parfum. Celui-ci est répandu sur le corps du défunt avant la crémation. Le parfum est de nouveau utilisé en fin de cérémonie

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• Crédits : (dessin H. Chochois et B. Berthe)

William Van Andringa « On se laisse plutôt guider par le terrain, on relève des traces, on suit des matériaux là où ils nous mènent… »
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Sur le bûcher funéraire, une lampe à huile retournée et brisée témoigne d’un geste réalisé pour marquer la fin de la cérémonie des funérailles

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• Crédits : (cliché F. Giraud)


William Van Andringa "Ce que nous avons pu faire à Pompéi l'a montré de manière magistrale, je crois, c'est qu'on est victime peut-être aussi d'une vision de l'archéologie un peu stéréotypée, un peu mythologique. On ne creuse pas, on ne dégage pas, on suit les couches archéologiques. C'est quand même le principe essentiel de l'archéologie. Normalement, on suit des couches archéologiques qu'on relève avec le plus de précisions, le plus de détails possible. Et je crois que c'est effectivement ce qui nous a guidés. Évidemment, on avait des questionnements au départ, qui ont très vite été réorientés sur ce qu'on mettait en évidence. Désormais, ce sont les données qui nous permettent de restituer des pratiques et de questionner des pratiques humaines."


La foudre « Fulgur » a aussi droit à sa tombe

Pline l’évoque, Hérénnius décurion de Pompéi foudroyé par un jour serein. Nous savons aussi qu’un homme dans cette situation n’avait pas d’honneurs funèbres.

La mission de Pompéi s’est penchée sur un exceptionnel monument, lié à « l’enterrement rituel de la foudre ». En 1938 l’archéologue Amedeo Maiuri découvre un petit tertre dans le jardin de la maison des Quatre Styles. Sur ce tertre, une tuile marquée du mot fulgur (foudre) lui permet d’identifier le rituel étrusque de l’enterrement de la foudre. Cette fosse restée intacte fournissait l’occasion d’étudier cet étonnant rite L’enregistrement de tous les éléments enterrés a permis d’identifier un pan de toiture touché par la foudre. On perçoit alors que la collecte des éléments foudroyés a été précautionneuse, mais a été surtout conduite par un spécialiste des rituels.

William Van Andringa "C'est un phénomène naturel qu'on explique, que l'on étudie. Dans l'Antiquité, à l'époque romaine, c'est un prodige. Autrement dit, c'est un signe divin, les divinités, Jupiter ou Summanus, se manifestent. Il faut donc que les humains maîtrisent le phénomène, qu'ils procèdent à ce qu'ils appellent l'enterrement rituel de la foudre, qui est le signe lorsqu'on a un coup de foudre diurne, que Jupiter se manifeste, en personne, et de nuit, c'est Summanus. "
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La tombe de la foudre "Fulgur"

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• Crédits : Willima Van Andringa - EPHE


Pour aller plus loin

Page de William Van Andringa (site de l'EPHE)
Page du Grand Prix d'Archéologie 2021 de la Fondation Simone et Cino del Duca

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William Van Andringa et la tombe de la foudre

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• Crédits : Tous droits réservés - EPHE

Année :
2021
Durée :
29 min
Année :
2021