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Un village du Néolithique récent à Val-des-Marais (Marne)
Depuis 2022, dans le cadre d'un Programme Collectif de Recherche portant sur « Les complexes miniers néolithiques de la région des Marais de Saint-Gond (Marne). Évaluation des indices d'habitats par sondages », (Cnrs-Umr 6298 ARTEHIS), une fouille programmée, en partenariat avec l’Inrap, a permis de mettre en évidence des vestiges d'habitats du Néolithique moyen et récent.
À Val-des-Marais, les vestiges néolithiques découverts concernent une forme d’occupation pour partie méconnue jusqu’alors pour le Néolithique du Nord de la France. Si l’habitat est structuré par des fossés d’enceintes et livre quelques fosses et des portions de bâtiments sur poteaux, d’immenses dépressions d’origine naturelle fréquentées durant le Néolithique constituent un type nouveau pour la période. Celles-ci se comptent par dizaines sur les photographies aériennes dans le secteur de « Pré à Vaches » et ont été confirmées par les prospections géomagnétiques (François Lévêque) et les fouilles archéologiques. Le comblement de ces dépressions témoigne d’une forte anthropisation du milieu et de rejets massifs de mobiliers détritiques provenant des habitats successifs.
Les premières observations indiquent que la formation de ces dépressions (lithalses) remonte au tardiglaciaire (13000-9700 ans avant notre ère). Elle a été provoquée par des processus successifs de cryoclastie : décalcification de la craie sous l’effet des gels et dégels à partir d’une masse de glace dans le sol. Cela a pour conséquence d’altérer la craie par des processus de fracturation et de dissolution, entraînant la formation à la surface du sol de dépressions plus ou moins circulaires, de 15 à 25 m de diamètre et 1,50 m de profondeur. On peut estimer que vers -12 000 ans ces dépressions sont probablement ouvertes et en eau, avec un fond meuble dans lequel viennent se marquer les empreintes de végétaux et peut-être également de faune sauvage. Ces dépressions semblent avoir fonctionné ainsi jusqu’au Néolithique, même si des périodes plus sèches ou plus humides pourraient avoir entraîné des fluctuations du niveau d’eau et de la nappe.

Orthophotographie de la fouille de Val-des-Marais « Le Pré à Vaches ». Un transect ouest-est (coupe en ligne droite) a été réalisé dans une dépression du sol bien visible en partie supérieure de la photo.
© Jonathan Desmeulles.
Une occupation du Néolithique moyen II (4400-3650 av. J.C.)
La plus ancienne occupation sur le site concerne une de ces dépressions dont le comblement inférieur livre de nombreuses céramiques du Néolithique moyen II. Les céramiques récoltées ne permettent pour le moment pas de rattacher cette occupation à un groupe culturel particulier du Nord de la France (Michelsberg ou groupe de Noyen). Les vestiges des constructions de cette période n’ont pas été perçus dans les sondages réalisés, mais la quantité et la qualité des mobiliers recueillis suggère qu’un habitat important s’y est installé.
L’occupation du Néolithique récent (3650-2900)
Des dépressions naturelles fortement anthropisées
En 2024, un transect ouest-est (coupe en ligne droite) a été réalisé dans l’une de ces dépressions, mesurant environ 25 m de diamètre. Ce sont plus de 42 m3 qui ont fait l’objet d’une fouille manuelle, visant à obtenir la finesse stratigraphique indispensable à la bonne interprétation et datation des couches de comblement. Cependant, le constat a été fait que les fouilles anciennes menées par André. Brisson dans cette dépression ont amplement perturbé la stratigraphie et limitent l’interprétation des phases de comblement.
Dans cette dépression, les occupations anthropiques sont marquées en premier lieu par le creusement de plusieurs fosses. L’une des fosses, située sous les niveaux néolithiques et n’ayant pas livré de céramique, pourrait témoigner d’une occupation antérieure au Néolithique. L’occupation du Néolithique récent est perceptible dans l’important comblement dans lequel une grande quantité de mobiliers domestiques (céramique, lithique, parure, faune, industrie en matière dure animale), en très bon état de conservation, a été découverte. Une autre fosse permet de suspecter une extraction d’argile durant le Néolithique récent. Les céramiques issues d’une autre fosse indiquent que la fréquentation a perduré jusqu’au Néolithique final.

Céramiques du Néolithique récent.
© Rémi Martineau, Cnrs

Armatures trapézoïdales à tranchant transversal.
© Fabien Langry-François, Inrap.

Parure biforée en nacre.
© Rémi Martineau, Cnrs
Lors des sondages réalisés en 2023, une autre dépression située au nord-est de la précédente, a livré des traces d’occupation dès le Néolithique récent. Son comblement recouvre un puits dans lequel le mètre supérieur ne livre que du mobilier caractéristique de cette période. En l’absence de cours d’eau à proximité, ces dépressions naturelles ont servi de réservoirs à eau et des puits y ont été creusés. Ces conditions favorables d’accès à la nappe phréatique expliquent certainement ce qui a motivé les populations néolithiques à s’installer dans ce secteur. Les puits à eau du Néolithique récent, très mal connus en Champagne-Ardenne, livrent peu de comparaisons.
La campagne de fouille 2024 a également mis au jour une nouvelle dépression qui ne présente aucune trace de fouilles anciennes. Le sondage réalisé livre de nombreux rejets mobiliers attestant d’un premier comblement au Néolithique récent. Ce sondage ouvre la perspective de pouvoir procéder à une fouille fine de ce type de dépression, sans trace de fouilles anciennes, et d’en explorer les différents modes d’occupation.
Une abside de bâtiment
Accolée à l’une des dépressions, une abside de bâtiment de 2,95 m de large sur 3,5 m de long a été fouillée. Elle est constituée de 13 poteaux, onze en arc de cercle et deux axiaux. La dizaine de trous de poteau présents alentour n’y sont pas clairement rattachés, bien que l’un deux ainsi qu’une petite fosse proche soient datés du Néolithique récent. Un petit alignement de quatre poteaux est certes relevé, mais cet ensemble constituerait une paroi désaxée par rapport à l’abside et sans ligne parallèle opposée. Bien qu’un nombre conséquent de comparaisons puisse être proposées pour une construction en abside à cette période, l’incomplétude du plan due à l’érosion ne permet pas d’extrapolation à ce stade.

Abside de bâtiment sur poteau.
© Rémi Martineau, Cnrs
Enceinte(s) palissadée(s) du Néolithique récent
Plusieurs tronçons de fossés d’enceinte palissadée ont été mis au jour. La palissade est constituée de poteaux refendus en deux ou en quart implantés dans un fossé de 0,5 m de large. Dans les zones où la palissade a été aménagée dans une craie moins déstructurée, les moulages des poteaux sont parfaitement conservés. Aucun dispositif d’entrée n’a encore été repéré.
Si la structuration interne et la datation de ces fossés d’enceinte au Néolithique récent sont acquises, il reste à en obtenir une compréhension spatiale et fonctionnelle à large échelle. Ces fossés d’enceinte semblent serpenter entre les dépressions, en entourer certaines et en exclure d’autres : la cohérence de la structuration de l’occupation reste donc à comprendre.

Orthophotographie du fossé d’enceinte et de la dépression .
© Jonathan Desmeulles, MSH Dijon.

Vue oblique du fossé d’enceinte.
© Rémi Martineau, Cnrs

Négatifs de poteaux d'un fossé préservés dans la graveluche crayeuse.
© Jan-Slow Dzurow
Perspectives de recherche
Les recherches vont se poursuivre en 2025. Une des principales problématiques vise à comprendre si l’enceinte englobe une ou plusieurs dépressions et lesquelles. Autrement dit quels sont les liens entre les différentes structures mises au jour et comment tout cela s’organise fonctionnellement et chronologiquement. C’est une question majeure car c’est la première fois que de telles dépressions sont mises au jour dans un habitat du Néolithique récent. Leurs fonctions ne pourront être comprises entièrement que si on dispose du plan d’ensemble de cette partie du site, et si on documente ces dépressions par une fouille détaillée.
Ces orientations permettront d’envisager la compréhension spatiale, structurelle et fonctionnelle des occupations néolithiques à Val-des-Marais « Le Pré à Vaches », qui représente pour le moment un unicum régional d’habitat complexe du Néolithique récent. C’est également l’un des rares exemples régionaux à fournir les profils céramiques nécessaires à l’établissement d’une caractérisation typo-technologique du Néolithique récent dans le nord de la France. Ces objectifs ne pourront être atteints qu’après plusieurs années de fouilles et au travers d’une lecture spatiale suffisamment large, sur ce site qui semble s’étendre sur plusieurs hectares.
Le complexe minier des Marais de Saint-Gond livre de nombreux sites du Néolithique, et notamment du Néolithique récent, principalement des minières de silex et des sépultures collectives (allées couvertes et surtout hypogées qui ont fait la réputation archéologique de la Marne dès la fin du XIXe s). Jusqu’alors, les habitats de la période ne sont connus qu’au travers d’indices ténus nécessitant d’être confirmés afin de comprendre où s’installent les populations qui exploitent les ressources en silex et enterrent leurs morts dans les hypogées.
La compréhension de l’organisation de l’habitat de Val-des-Marais et son intégration dans le fonctionnement du complexe minier des Marais de Saint-Gond devrait apporter un nouvel éclairage sur les fonctionnements sociétaux de cette période.
Responsables scientifiques : Fabien Langry-François, Inrap-Umr 6298 ARTEHIS ; Rémi Martineau, Cnrs-Umr 6298 ARTEHIS
Contrôle scientifique : Service Régional de l’Archéologie (DRAC Grand Est)