Une équipe de l’Inrap – missionnée par la Ville de Vannes – vient de mettre au jour les vestiges du château de l’Hermine, construit par le duc de Bretagne Jean IV à partir des années 1380. Les recherches ont révélé le logis ducal et sa façade ornementée, différentes pièces ainsi que des espaces de circulation dont plusieurs escaliers. L’ensemble permet d’esquisser un premier plan de cet édifice.

Dernière modification
26 mars 2024

Prescrite par les services de l’État (Drac Bretagne), l’opération a été réalisée dans le cadre de l’archéologie préventive, en amont de la construction du futur musée des Beaux-arts de la Ville de Vannes. Elle s’est déroulée, pour une première phase, entre février et avril 2023, dans les caves et dans la cour actuelle de l’hôtel Lagorce, un hôtel particulier construit à la fin du XVIIIe siècle sur les ruines du château médiéval. Une seconde phase de fouille menée à l’automne 2023 a permis d’élargir la zone de fouille et de compléter les observations dans la cour du bâtiment actuel.

Un édifice construit sous la forme d’un « logis-porche »

Un diagnostic archéologique mené par l’Inrap en 2021 avait déjà permis de démontrer que des maçonneries de l’édifice médiéval subsistaient sous l’emprise de l’hôtel particulier, sans que toute l’ampleur en soit toutefois perçue. Sous un épais remblais (de 2,50 à 4 mètres), les archéologues ont mis au jour, de manière inattendue, le rez-de-chaussée d’un imposant bâtiment qu’ils ont dégagé sur un mètre d’élévation et qui correspond au logis ducal. Un passage central relie la porte nord, ménagée dans la façade côté ville, à une autre porte encadrée de deux grosses tours assises sur le rempart de la ville et identifiées sur les plans anciens, donnant sur la douve extérieure. L’ensemble présente un plan en « logis-porche » semblable à celui du château de Suscinio (Morbihan), demeure de plaisance des Ducs de Bretagne. Ce modèle se répand à partir de la seconde moitié du XIVe siècle. L’espace résidentiel se développe en partie au-dessus du passage jusque dans les tours, dans une architecture qui combine des fonctions résidentielles (cheminées, latrines…) et défensives.

La fouille a révélé peu à peu le plan du rez-de-chaussée : le logis ducal, long de 42 mètres et large de 17 mètres (hors-œuvre), est doté de murs d’une épaisseur exceptionnelle, atteignant 5,60 mètres. Directement bordé par une douve, il est flanqué à l’est de ce que l’on peut appeler une « tour carrée ». Dans l’épaisseur des murs de façade, les archéologues ont observé un certain nombre d’aménagements. Ils ont ainsi mis au jour plusieurs escaliers, dont un escalier d’apparat remarquablement conservé, présentant un noyau décoré et trois marches, mais aussi une fenêtre à coussiège (banc ménagé dans l’embrasure).

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Vestiges des premières marches de l’escalier à vis d’honneur.

© Rozenn Battais, Inrap



Douve, latrines, moulin : un château entouré d’eau

Dans l’épaisseur des maçonneries, à chaque extrémité du logis, les archéologues ont aussi mis au jour un ensemble de latrines et de conduites d’évacuation se rapportant aux niveaux supérieurs (le château devait ainsi comporter trois voire quatre étages). Les conduites débouchent sur des fosses, dont une en encorbellement au-dessus de la douve intérieure.

La fouille a également révélé la présence d’un moulin intégré – de manière très originale – à l’espace résidentiel, dans une pièce de la « tour carrée » prolongeant le pignon est du logis. Les éléments du moulin ont disparu mais l’endroit où la roue s’insérait dans la maçonnerie a pu être repéré.

Un canal passant sous l’édifice acheminait l’eau de la Marle pour actionner la roue. Cette dernière entrainait le rouet puis la lanterne, dont les archéologues ont retrouvé l’emplacement. Des agrafes et tirants métalliques renforçaient la structure. L’évacuation de l’eau vers la douve, en aval de la roue, se faisait par une ouverture pratiquée dans la façade, dont la grille a été conservée.

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Grille fermant l’exutoire du canal alimentant la roue du moulin (est).

© Rozenn Battais, Inrap

Cette façade qui forme l’escarpe de la douve, mise en eau grâce au canal, est aménagée en glacis (pente douce) avant de plonger à la verticale sur une hauteur totale de 4,50 mètres jusqu’au fond de la douve.
Face à l’entrée du château, la pile d’un pont a été en partie dégagée. Ce massif maçonné de près de 5 mètres de côté est constitué d’un passage central bordé par deux piédroits s’élevant à plus de 2 mètres de haut. Un pont en bois le reliait à l’entrée du château. Cet aménagement essentiel permettait l’accès à la ville.
 

Cohérence architecturale et prestige

L’homogénéité des matériaux utilisés pour la construction du château et la standardisation des modules montrent une maîtrise de la gestion du chantier tout au long de la chaîne opératoire, de l’extraction de la pierre à sa mise en œuvre. Une centaine de marques de tâcherons destinées à l’organisation du chantier ont été découvertes sur les pierres : elles sont le reflet de ce programme architectural cohérent et maîtrisé. La façade du logis présente un bandeau mouluré sur tout son pourtour qui souligne le parti pris ostentatoire de l’édifice, tout comme le détail des décors retrouvés sur les piédroits des ouvertures ou encore sur les escaliers.

La construction de l’édifice s’est déroulée en une seule phase, ce qui témoigne de l’importance des moyens financiers et humains utilisés. Les vestiges indiquent que Jean IV a su s’entourer des meilleurs ingénieurs et artisans de l’époque.


Vaisselle, monnaies, bijoux, éléments en bois : un abondant mobilier

Les latrines et conduites d’évacuation ont été fouillées manuellement. Elles ont livré de nombreux objets liés à la vie quotidienne du château : monnaies, bijoux, vaisselle de cuisson (pots, poêles, lèche-frites...) datant des XVe/XVIe siècles, mais aussi plusieurs éléments en bois (écuelles, fragments de tonneaux...) conservés grâce à l’humidité du milieu. Par ailleurs, les archéologues ont effectué un sondage profond dans la douve. De ce matériau très humide, ils ont extrait un riche mobilier, dans lequel des objets de la vie courante (épingles, boucles de vêtement ou de chaussures, dalles recouvertes de graffiti, etc.) côtoient d’autres objets marquant l’appartenance à un milieu aisé (vaisselle en métal, clefs et cadenas de meuble ou de coffret, etc.).  Des éléments d’architecture en bois ont également été retrouvés, comme des restes du moulin ou du pont d’accès au château.

Un château ducal tombé dans l’oubli

En 1365, Jean IV signe le traité de Guérande mettant fin à plus de 20 ans de conflit opposant la famille de Penthièvre aux partisans des Montfort et hérite du duché de Bretagne. En 1381, il entreprend la construction de forteresses à travers tout le duché afin d’affirmer son pouvoir. À Vannes, l’édification du château de l’Hermine, qui devient l’une des places fortes du duché, s’intègre dans l’agrandissement vers le sud des remparts de la ville. Menés dans une zone marécageuse, proche de l’estran, sujette au flux des marées et donc probablement peu aménagée jusque-là, les travaux entrepris s’inscrivent dans un vaste programme d’urbanisation qui permet de doubler la superficie de la ville.

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Ardoise en schiste gravée.

 © Emmanuelle Collado, Inrap


Connu pour être l’une des résidences favorites du Duc Jean IV, le château de l’Hermine est utilisé intensément pendant à peine cent ans. Délaissé au profit de celui de Nantes par François II dans les années 1470, il est définitivement abandonné aux XVIIe/XVIIIe siècles. Quasi-absent des archives, l’édifice apparaît seulement à l’état de ruines sur des plans du XVIIe siècle. Plusieurs auteurs se sont efforcés d’en reconstituer le plan, mais leurs propositions se trouvent aujourd’hui bouleversées par les découvertes archéologiques.

Aménagement : Ville de Vannes
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Bretagne)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Rozenn Battais, Inrap
Directeur adjoint scientifique et technique : Michel Baillieu, Inrap