À Corbeil-Essonnes, dans le quartier des Tarterêts, à proximité du site magdalénien d'Étiolles, un campement de chasseurs-cueilleurs fait l’objet d’une fouille programmée dirigée par l’Inrap. Responsable de recherches archéologiques, Cécile Ollivier-Alibert (Inrap) revient sur cette fouille très attendue, menée avec le CNRS et l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Chronique de site
Dernière modification
13 septembre 2022

Comment est venue la décision de fouiller ce nouveau site des Tarterêts ?

Le site a fait l’objet en 2012 d’un diagnostic et d’une étude que j’ai réalisés avec l’aide de Christine Chaussé, géomorphologue (Inrap). Il s’agit d’une parcelle de 1751 m2 qui devait à l'époque accueillir un entrepôt et qui est restée terrain vague jusqu’à ce jour. Comme ce site est a priori contemporain du gisement magdalénien d’Étiolles, situé à 1,5 km sur la rive droite de la Seine et déjà bien étudié par les chercheurs du CNRS et de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’idée a été d’associer les compétences des équipes d’Étiolles à celles de l’Inrap pour la fouille et l’étude de ce nouveau site. Je me suis associée avec l’équipe d’Étiolles pour déposer en 2018 un projet de fouille programmée auprès du SRA. En parallèle j’ai monté un Projet d’activité scientifique (PAS) au sein de l’Inrap avec une équipe pluridisciplinaire d'archéologues lithiciens/spécialistes du silex taillés pour la période Magdalénienne, archéozoologue, tracéologue et géomorphologue.

D’autres sites du Magdalénien ont-ils déjà été mis au jour aux Tarterêts ?

Dès la fin du XIXe siècle, des vestiges ont été trouvés dans une carrière d’extraction de limon, sur le terrain de la briqueterie Rabot, devenue ensuite la tuilerie Gilardoni : il s’agissait de silex taillés et de bois de cerf. Puis, au début du siècle, il y a eu des ramassages réguliers par les ouvriers qui travaillaient dans la tuilerie. Aujourd’hui, l’ensemble de ces vestiges a disparu. Dans les années 50, Fernand Champagne a fait des surveillances archéologiques dans la carrière. Puis en 1969, le site s’est vu menacé par la construction de la francilienne et de logements sociaux et deux fouilles de sauvetage ont été décidées. La fouille de sauvetage des « Tarterêts I » s'est faite en 5 mois dont 3 mois au printemps 1969 et 2 mois au printemps 1970 (par Béatrice Schmider). Elle a livré principalement deux foyers associés à des amas de débitage composés de silex taillés datés du Magdalénien, mais aussi des silex témoignant d’une occupation du site remontant au Paléolithique moyen et à l’homme de Neandertal.
La fouille des « Tarterêts II » a, elle, pour origine les découvertes de deux étudiants en archéologie qui ont trouvé des silex de la période magdalénienne dans les ornières laissées par des engins de chantier. Elle s'est étendue sur à peine plus d'un mois au printemps 1970 (Michel Brézillon) et a livré du mobilier lithique : des amas de débitage composé de silex taillés, nucléus, éclats, lames et outils mais pas de foyer proprement dit, seulement des pierres chauffées qui sont peut-être des traces de foyers. Pas d’os non plus. Pour ce nouveau site, baptisé « Tarterêts III », nous travaillons dans le cadre d’une fouille programmée étendue sur trois ans et nous devons évaluer le potentiel du site au cours d’une première année probatoire.

Le site magdalénien des Tarterêts était donc très étendu ?

Sachant qu’il existe déjà « Tarterêts I » à moins de 400 m au nord et « Tarterêts II » à moins de 200 m, on se trouve en fait devant un site énorme étendu sur plus de 600 m, avec de l’autre côté de la Seine, dans une forte proximité chrono-culturelle, le site d’Étiolles. Si l’on trouve autant de vestiges dans ce secteur, cela signifie que les hommes sont venus là plusieurs fois et que l’occupation y était assez dense. Ici, nous sommes à la confluence de la Seine et de l’Essonne, dans ce qui devait représenter une position stratégique pour la chasse. Il y a 15 000 ans, à la fin de la dernière période glaciaire, toute cette zone présentait un aspect de steppe. La Seine avait 200 m de large, mais elle devait être traversable, car elle se divisait en plusieurs chenaux, comme la Loire actuelle. Tous les sols que nous fouillons sont constitués d’alluvions amenés par le fleuve. C’est une chance car ils sont très propices à la conservation.

Que sait-on de ces Magdaléniens ?

Ils nous sont assez bien connus. Il s’agissait d’homo sapiens sapiens, des chasseurs-cueilleurs nomades qui se déplaçaient en suivant les déplacements des troupeaux de rennes et de chevaux. Ceux qui sont venus aux Tarterêts devaient établir leur campement pendant quelques semaines et revenir régulièrement, et cela pendant des siècles. On connaît la manière dont ces Magdaléniens faisaient des feux, taillaient le silex et fabriquaient des lames pour travailler la peau, le bois de cervidé, les matières osseuses, ou encore des lamelles qui étaient fixées dans des sagaies lancées à la main ou à l’aide d’un propulseur. Grâce aux grottes ornées du sud de la France, l’art magdalénien nous est aussi bien connu. Les grottes sont quasiment absentes en Île de France, mais le site d’Étiolles a livré une pierre gravée représentant un cheval et une créature imaginaire, datant de 12 500 avant notre ère.

Qu’espérez-vous trouver aux Tarterêts III ?

Nous avons certains espoirs dans ce secteur des Tarterêts, parce qu’il s’agit de la dernière parcelle qui a échappé aux démolitions et qui est vierge de toute construction, mais il est encore trop tôt pour se prononcer. Nous venons d’enlever le remblai moderne et de retrouver le niveau archéologique, à 2,60 m de profondeur, atteint lors du diagnostic de 2012. Nous avons dégagé en bord de coupe une vingtaine de silex taillés et nous allons étudier en plan le niveau de concentration de ces silex. Il s’agit d’observations que nous ne pouvons pas réaliser dans les grottes. Depuis le début de la fouille, nous avons découvert des déchets de taille issus du débitage de blocs de silex appelés nucléus (matrice). Nous avons déjà quatre nucléus, des lames, des éclats, et une lamelle à dos (qui est un outil). Pendant le diagnostic, nous avions aussi des outils en silex très courants au Magdalénien tels que des burins. Des études de tracéologie vont nous dire à quoi servait ces outils, comment ils étaient utilisés. Outre les outils identifiés comme burins et lamelles à dos, certains déchets de taille tels que des éclats ou des lames ont pu également être utilisés bruts. La tracéologie permet de retrouver ces traces d’utilisation. Au cours de cette fouille, nous espérons découvrir des niveaux importants de concentration de silex et des pierres brûlées qui pourraient indiquer que l’on se trouve en face de foyers et d’unités d’habitation où l’on taillait le silex sur place.
Nous sommes aussi à la recherche de matériel osseux. Lors du diagnostic de 2012, nous avions trouvé un fragment d’os de renne (métatarse de renne), mais que nous n’avions pas réussi à dater. Nous venons de découvrir une dent de carnivore et un fragment de radius de renne (un bout de patte) que nous allons envoyer au laboratoire. L’étude de la faune pourrait venir compléter celle qui a été faite à Étiolles. Ces vestiges osseux, de renne ou de cheval sont très précieux parce qu’ils peuvent, une fois analysés en laboratoire, fournir une datation sur un niveau. Ils peuvent aussi nous apporter des informations sur l’alimentation et la stratégie de chasse de ces chasseurs-cueilleurs. Que visait-on ? S’agit-il de rennes ou de chevaux ? De mâles ou de femelles ? Les bois de renne sont-ils de chute ou de massacre ? C’est le type d’information que l’on recherche dans ce secteur, mais rien n’exclue non plus que l’on puisse trouver un jour des vestiges de mammouth.
 

Le site des Tarterêts III fait l'objet d'un programme de médiation culturelle et scientifique. Pouvez-vous en dire quelques mots? 

Situé en bordure de Seine, derrière l’autoroute et la voie ferrée, les Tarterêts forment un quartier très enclavé de la ville de Corbeil. Il est aussi très dense avec près de 10 000 habitants pour 50 000 habitants dans toute la commune. Avec le soutien de la ville de Corbeil, la fouille des Tarterêts est associée à des actions de méditation scientifique et culturelle dans le cadre d’un Parcours d’éducation artistique et culturelle (Péac). L’association ArkéoMédia qui porte ce projet en collaboration avec l’Inrap propose ainsi aux écoles, aux habitants de Corbeil et aux riverains des visites de chantier, des rencontres d’archéologues et des actions de sensibilisation à ces fouilles et à ce patrimoine archéologique.
Le quartier a beaucoup fait parler de lui dans les médias au cours des émeutes de 2005. Pour ArkéoMédia, le site archéologique des « Tarterêts III » offre une opportunité d’en parler autrement : ce quartier est exceptionnel aussi parce qu’il s’agit du plus ancien de la ville et qu’il était peuplé il y a 15 000 ans par les chasseurs-cueilleurs. C’est l’occasion pour ces populations d’implantation récente ou moins récente de venir réfléchir ensemble à la signification d’une fouille, d’un aménagement, des migrations, autour d’un imaginaire de chasseurs-cueilleurs du Magdalénien...