L’agglomération de Marmoutier s’est développée autour d’une abbaye bénédictine fondée au VIIe siècle dont la commune  a entrepris la restauration en 2019 et 2020. Les interventions archéologiques de l'Inrap réalisées à l'occasion de ces travaux ont permis d’apporter un éclairage nouveau sur cet édifice relativement méconnu, d’en caractériser la fonction initiale et d’appréhender son évolution architecturale ainsi que sa chronologie.

Dernière modification
04 juillet 2024

Le pôle paroissial de la localité est situé à l’extérieur du périmètre du bourg abbatial, dans le faubourg dit de Saint-Denis. Ce pôle comprend l’église paroissiale Saint-Étienne (démolie au début du XIXe siècle) et son cimetière. La chapelle Saint-Denis se trouve dans la partie septentrionale de ce cimetière.

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Vue de la chapelle Saint-Denis au moment des travaux (septembre 2019).

© B. Dottori, Inrap


Un édifice antérieur à la chapelle (période carolingienne ?)

Un édifice antérieur à la chapelle a été mis au jour dans la partie sud-est de la nef, constitué par un massif de maçonnerie et un niveau de préparation de sol (Phase 1). En raison de la faible surface investiguée et de la faible quantité de mobilier, l’identification et la datation de ce bâtiment restent incertaines. Quelques tessons de céramique datables entre le VIIIe et le XIIe siècle ont été recueillis dans la couche scellant ces structures. Les vestiges sont en tout cas antérieurs au milieu du XIIe siècle.

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Vue d’ensemble de la fouille dans la nef.

© B. Dottori, Inrap

 

Une chapelle-ossuaire d’époque romane (vers 1140/1150)

La chapelle est édifiée vers 1140/1150. De cette phase constructive, seule la nef est conservée. Celle-ci était à l’origine séparée transversalement en deux espaces. La partie orientale correspondait à la nef à proprement parler, tandis que la partie occidentale accueillait un ossuaire : à cet endroit, sous le dallage, se trouvait un amoncellement d’ossements humains sans connexions anatomiques. 

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La partie fouillée de l’ossuaire, sous le carrelage. Le mur visible au centre de l’image marquait, entre le milieu du XIIe siècle et la fin du Moyen Âge, la séparation entre l’ossuaire semi-enterré et la nef de plain-pied.

© B. Dottori, Inrap

Cette découverte nous renseigne ainsi sur la fonction initiale de cette chapelle de cimetière, qui disposait d’une partie destinée à la liturgie, constituée d’un chœur – disparu pour cette phase, mais dont l’existence est induite par la présence d’un arc triomphal –, d’une petite nef et d’un espace dédié à la conservation des ossements du cimetière, mis au jour lors du creusement de nouvelles tombes.

La reconstruction du chevet : un exemple d’édifice de transition entre le style roman et le style gothique

Vers 1220, le chœur roman est détruit et un nouveau chevet est édifié. De plan rectangulaire, il est coiffé d’une voûte sexpartite et muni de six contreforts. Les caractéristiques stylistiques des supports de la voûte sont comparables à celles d’autres édifices du secteur, dont l’un, la collégiale d’Obersteigen, est datable par les sources écrites de 1213/1220. 

Les modifications de la fin de la période médiévale et du début de l’époque Moderne

Entre la seconde moitié du XIIIe et le début du XVIe siècle, la chapelle connaît quelques transformations, avec la mise en place de fenêtres à remplages sur les trois faces du chevet et d’une table d’autel, peut-être destinée à accueillir le retable encore conservé dans la chapelle.
Au début du XVIe siècle, la nef est concernée par une importante campagne de travaux. Vers 1506/1508, elle est coiffée d’une charpente en sapin, dont les assemblages sont exclusivement réalisés en tenons et mortaises. 

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La charpente de la nef, peu après 1506.

© B. Dottori, Inrap

Durant cette phase, l’ossuaire de la partie occidentale de la nef est définitivement comblé. Un carrelage est mis en place directement par-dessus les ossements. La partie orientale de la nef est alors excavée pour une raison indéterminée, vraisemblablement pour accueillir un nouvel ossuaire. Aucun ossement n’a toutefois été mis au jour dans cet espace.

En 1575, cet espace est remanié, avec la construction de deux murs latéraux et le rehaussement du niveau de sol d’une dizaine de centimètres.

Les transformations d’époque Moderne et contemporaine

En 1697, la chapelle va connaître de nouvelles modifications. Le niveau semi-enterré de la partie orientale de la nef est comblé et un nouveau dallage est mis en place, en complément du carrelage posé au début du XVIe siècle. La nef est désormais constituée d’un espace unique, éclairé de part et d’autre par des fenêtres hautes, dont l’une porte le millésime de 1697. La configuration actuelle de la chapelle remonte ainsi à cette période.

Quelques modifications mineures vont être apportées à l’édifice aux XIXe et XXe siècles, en termes de décoration et aménagements intérieurs. Par exemple en 1920, l’édifice fait l’objet d’une campagne de restauration, menée par le recteur Télesphore Biehler.

L'occupation funéraire de l’intérieur et des abords immédiats de la chapelle

La présence de dalles funéraires dans la chapelle indique que celle-ci a servi de lieu de sépulture à plusieurs périodes (fin du XIVe siècle, milieu du XVIIe siècle, XVIIIe et XIXe siècles).
L’occupation funéraire des abords de l’édifice a quant à elle pu être appréhendée le long du mur sud de la nef. Deux sarcophages en grès avaient été repérés lors du diagnostic. Le sarcophage accolé au mur de la chapelle a été fouillé. Il s’agit d’un sarcophage monolithe à cavité céphalique datable du XIIe siècle.

Comme vu au diagnostic, le sarcophage, qui n’avait plus de couvercle, ne contenait que les tibias et les pieds, en connexion, d’un individu. Ces ossements ont été datés au carbone 14 dans une fourchette comprise entre 1495 et 1602. Cela indique que le sarcophage avait déjà anciennement été vidé de son contenu initial, remplacé par une nouvelle sépulture elle-même partiellement extraite ensuite.
À proximité du sarcophage a été mise au jour une sépulture primaire double contenant les restes de deux individus immatures, l’un âgé de 7 à 11 ans, l’autre décédé en période périnatale.
 

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Le sarcophage fouillé (à droite) et la sépulture des deux immatures. L’individu périnatal repose sur la partie supérieure du fémur droit de l’autre individu. À noter que le sarcophage de gauche a dû être retaillé pour permettre l’installation du cercueil.

© B. Dottori, Inrap

La fourchette chronologique la plus probable révélée par les analyses au carbone 14 place le décès de l’individu le plus âgé entre 1635 et 1686. Des analyses paléo-génétiques pratiquées sur le même individu ont permis de déterminer que ce dernier est de sexe masculin, excluant donc le lien mère-enfant pour ces deux immatures, qui avait en un premier temps pu être envisagé. L’absence de crâne et donc d’ADN fossile exploitable sur l’individu périnatal n’a pas permis de confirmer un très probable lien de parenté entre les défunts.

Ces indices et l’examen des registres paroissiaux permettent éventuellement de relier ces deux enfants avec une épitaphe insérée dans le mur sud de la nef, mentionnant le décès en 1665 de deux jeunes frères, Hans-Diebold et Philipp-Joseph Senwig. La sépulture recelait une médaille de pèlerinage en alliage cuivreux provenant de l’abbaye autrichienne de Mariazell, datable de la fin du XVIIe siècle.

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La médaille de pèlerinage.

© C. Leyenberger, Inrap

Aménageur : Commune de Marmoutier
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Grand-Est)
Recherches archéologiques : Inrap
Responsable scientifique : Boris Dottori, Inrap