Du 15 juin 2019 au 5 janvier 2020, le Chronographe propose cette exposition conçue en partenariat avec l’Inrap. Aujourd’hui, l’archéologie permet une lecture de plus en plus précise de la prise en charge des personnes les plus vulnérables. Valérie Delattre, archéo-anthropologue à l’Inrap et commissaire scientifique de l'exposition, revient sur le projet.

Dernière modification
03 juin 2019

Comment est né le projet de l’exposition ?

L’idée d’une collaboration de l’Inrap avec le Chronographe, centre d'interpération archéologique, est née autour de l’Archéocapsule « Santé » que Cécile de Collasson, la responsable du musée avait remarquée. Le principe de ces expositions légères, conçues et développées par l’Inrap, est de pouvoir se déployer sur n’importe quel site et de s'enrichir avec des éléments locaux issus d’un territoire. Il a donc été conjointement décidé de décliner l’Archéocapsule « Santé » dans le Chronographe qui est situé à l’emplacement de l’ancien port de Nantes, Ratiatum. L'espace d'exposition temporaire a été divisé en quatre « pôles ».

Quels sont ces pôles ?

Le premier s’intitule « Prévenir et soigner » et considère toute une catégorie de soins qui se situent avant l’intervention du médecin. Nous dévoilons des objets de soin qui concernent le quotidien, l’hygiène et la toilette, la maternité et l’allaitement, l’alimentation. Les objets sont très variés : statuette de déesse-mère, biberon, peigne, strigile (pour gratter la peau), pince à épiler, objets en lien avec la pharmacopée, meule pour faire un pain de bonne qualité qui ne casse pas les dents ! Nous présentons toute une catégorie d’objets qui contribuent à prévenir la maladie et à diminuer la mortalité. La plupart sont gallo-romains et proviennent des musées archéologiques de Nantes, Rennes et Saintes.
Le second de ces pôles, « Prier les dieux, guérir les corps », envisage l’horizon de la maladie et de la guérison sous l’angle de la médecine et des pratiques religieuses. Il y a eu dans la région d’intéressantes découvertes dans ce domaine : une série de cachets d’un ophtalmologue gallo-romain qui s’appelait Proclianus. À Saint-Médard-des-Prés a été découvert également la tombe d’un ophtalmologue, enterré avec sa mallette complète d’instruments chirurgicaux : lancettes, pinces, écarteurs, fioles à onguents et à pommade. Tous ces objets étaient soigneusement rangés dans un petit coffre et faciles à identifier. Les archéologues du Grand Ouest ont aussi mis au jour de nombreux ex-voto dont nombre d’entre eux représentent des yeux. L’ex-voto apporte une sorte de plus-value spirituelle : on demande à la divinité de poser un regard sur soi, mais dans certains cas les ex-voto ont une signification anatomique. Ils représentent la partie du corps qui pourrait être soignée, le poumon, le cœur, etc.

Comment savoir qu’un ex-voto représentant des yeux a cette signification « anatomique » ?

Nous n’avons aucune certitude, mais il existe un site aux sources de la Seine où l’on a découvert de nombreux ex-voto en bois qui représentent des yeux, au milieu d’ex-voto qui représentent d’autres parties anatomiques. En Grèce, on a aussi trouvé des amulettes d’yeux que l’on peut associer à une demande de guérison. L’œil est très important, comme le cerveau. On implore une divinité de guérir la cécité.
Pour revenir à l’exposition, nous avons imaginé un troisième pôle, « Réparer et accompagner », qui montre que de tous temps, on a su réparer un corps malade. On a retrouvé des crânes trépanés datés du Néolithique. On trépanait en pointillé avec des petits silex ou par raclage. Les patients devaient être « assommés » au moyen d'une pharmacopée. On sait que certains ont survécu, car on voit sur quelques crânes que l’os a continué de se développer, mais ce devait être une survie amoindrie supposant une prise en charge par le groupe. On imagine qu'il y avait tout un processus, allant de la décision de l’intervention à la convalescence, à la survie et à la prise en charge par le groupe qui suppose de l'empathie. L’exposition présente même un crâne de vache trépané. Il y a quelque chose de touchant dans ce crâne, qui montre qu’avant de s’essayer à la trépanation sur un être humain, un spécialiste a d’abord voulu s’exercer sur une vache. Pour exprimer la qualité de ces interventions depuis le Néolithique jusqu’à l’Époque moderne, nous avons aussi fait venir de Laval la trousse d’Ambroise Paré, le grand chirurgien du roi, fameux pour ses amputations et ses prothèses. Parmi les appareillages, nous montrons aussi le crâne d'Anne d’Alègre, duchesse de Laval. Elle avait perdu une de ces incisives et pour reconstituer son joli sourire, avait fait fabriquer une prothèse en bois de cerf faisant illusion, bien qu'elle ait noirci depuis. On montre cette prothèse avec les petits fils d'or qui la soutiennent. L’orthodontie est attestée depuis l’Égypte ancienne et avec ce crâne, on se trouve vraiment dans un contexte de médecine des riches.

Enfin, le quatrième pôle de l’exposition, « Soigner et réparer », se base sur les fouilles de couvents et d’hôpitaux qui ont été réalisées dans le Grand Ouest et qui témoignent de la mise en place de grandes corporations de médecins. Nous avons reconstitué un « plateau repas » à partir de vestiges d’objets d’hôpitaux comme des écuelles, des bols, des verres et nous avons étudié des restes de faune et de matières végétales pour reconstituer l’univers de l’alimentation. Saine, elle était composée principalement de soupe, de tisane, d’un peu de viande et de beaucoup de pain à base de farine de blé et de millet. Parmi les objets de vaisselle, on trouve beaucoup de ratés, indice qu’il existait une économie de seconde main dédiée aux hôpitaux et aux indigents. On regroupait les malades pour les soigner, mais alors que l’on ne maîtrisait pas le problème de la contagion, on avait compris que l’isolement des malades protégeait la société.

Qu’avez-vous voulu montrer au travers de cette exposition sur l’archéologie du soin ?

C’est une thématique qui m’est très chère et que j’ai déployée avec beaucoup de plaisir. Je suis toujours surprise par l’ingéniosité des hommes pour prendre en charge des malades et des personnes vulnérables, repousser la maladie et la mort ou, une fois que la maladie est installée, réaliser une intervention risquée. Je suis très confiante dans cette capacité et ces vestiges me confortent dans l’idée que l’humanité est, à tout prendre, « bonne ». L’archéologie étudie beaucoup les guerres, la violence, l’exclusion, dont il reste effectivement de nombreux vestiges, mais on ne doit pas s’interdire de penser que les hommes ont aussi de la bienveillance, de l’empathie et un souci d’inclusion. C’est un message très important de l’archéologie et qui peut être inspirant pour les contemporains. Ce que ceux-ci doivent comprendre et qui est le postulat de l’exposition, c’est que l’on n’est pas les premiers à prendre soin les uns des autres. Il faut dépoussiérer l’archéologie funéraire et l’inscrire dans le contemporain. Neandertal s’occupait aussi des handicapés. La vie de groupe sous-entend la solidarité. On s’enrichit à s’occuper des êtres vulnérables. Notre mission, à l’Inrap, qui a aussi une mission de service public, c’est de trouver ces exemples qui ne sont certainement pas des leçons, mais qui peuvent éclairer les réflexions et les manières d’agir de nos contemporains.

COMMISSARIAT SCIENTIFIQUE
Valérie Delattre est archéo-anthropologue à l’Inrap et spécialiste des pratiques funéraires et cultuelles de la Protohistoire au Moyen Âge. Elle étudie les comportements de nos ancêtres, vulnérables, différents et handicapés moteurs, et leur inclusion/exclusion dans les sociétés du passé.
Hervé Guy est archéologue préhistorien et archéo-anthropologue à l’Inrap. Il étudie les représentations et pratiques autour du défunt, dans une approche de sociologie historique, et s’intéresse aux transitions démographiques provoquées par des changements environnementaux (paléodémographie, états sanitaires, démographie…).
Marie-Laure Hervé-Monteil est archéologue à l’Inrap et spécialiste de la période gallo-romaine. Elle a dirigé plusieurs opérations de diagnostic et de fouille préventive en contextes rural et urbain dans les Pays de la Loire. Elle a notamment réalisé de nombreuses fouilles et diagnostics sur Ratiatum, l’agglomération de Gaule romaine à Rezé.
INFORMATIONS
• Exposition du 15 juin 2019 (ouverture pour les Journées Nationales de l’Archéologie) au 5 janvier 2020
• Ouverture : du mercredi au dimanche, de 14h à 18h. Juillet & août : du mardi au dimanche, de 14h à 19h.
• Renseignements : Cécile de Collasson - lechronographe [at] nantesmetropole.fr - 02 52 10 83 20
• Le Chronographe, 21 rue Saint-Lupien, 44400 Rezé - lechronographe.nantesmetropole.fr - @lechronographe