Histoire du vin : Moderne et contemporain Techniques et production

Ces vignes qui approvisionnent Paris

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les voies de communication se multiplient, s'améliorent et deviennent plus sûres. Le vin est alors acheminé par la route, les canaux et les fleuves. Si tous les vignobles de France participent à l'approvisionnement en vin de la capitale, on peut toutefois distinguer quatre grandes zones de provenance.

Les vins « de village », produits sur place à Paris et à ses portes, sont essentiellement destinés à la consommation familiale et à la distribution à domicile : les vins d'Ivry, de Gentilly, de la butte aux Cailles, de Passy, d'Auteuil, de la Goutte d'Or, de Belleville, du clos des Panoyaux, etc. sont les survivances des vignobles ecclésiastiques du Moyen Âge.

Au-delà de vingt lieues autour de la capitale, les vins produits en Brie et de Beauce sont soumis, à partir de 1577, aux taxes de l'octroi, ce qui les prive de débouchés sur la capitale. Les grandes plaines de l'Île de France se tournent alors vers les cultures céréalières.

Dans le même temps, le vignoble s'étend à d'autres secteurs du Bassin parisien, comme la vallée du Grand Morin, le Gâtinais, la basse vallée de l'Yonne, la région d'Orléans et du Val de Loire, formant une troisième zone d'approvisionnements avec des vins le plus souvent de piètre qualité.

Les autres régions de production viticole du royaume fournissent enfin des vins de meilleure qualité, lesquels parviennent à la capitale par les voies fluviales et les canaux qui sont construits à cette époque.

La vinification en blanc du Pinot noir et les débuts du vin de champagne

La vinification en blanc du Pinot noir et les débuts du vin de champagne

Dom Pérignon était un moine bénédictin de l'abbaye d'Hautvillers (Marne), en charge du cellier. La légende raconte qu'il aurait découvert la manière de faire mousser le vin de champagne en bouteille en adaptant la technique utilisée pour la blanquette de Limoux.

À partir du XVIIIe siècle, l'activité vinicole s'oriente vers la recherche de vins de plus grande qualité : meilleur choix des terroirs, réduction des rendements, amélioration de la vinification et accroissement des possibilités de vieillissement des vins permettent la naissance de crus de très haute qualité.

La Champagne, qui n'a produit jusqu'alors que des vins (non effervescents) ordinaires, bénéficie à la fin du XVIIe siècle de la mise au point d'un nouveau procédé de vinification en vin blanc du raisin issu de cépage de pinot noir. À cette nouvelle technique s'ajoutent la découverte puis la maîtrise d'une méthode de fabrication de vins pétillants. La renommée de ces nouveaux vins, dont la production, le vieillissement et l'exportation sont assurés par des maisons de commerce, s'étend rapidement de l'Angleterre à toutes les cours d'Europe. Parmi les grands amateurs de champagne du XVIIIe siècle, on compte Frédéric II de Prusse, Catherine II de Russie, Voltaire, et plus tard Diderot.

Ce vin reste toutefois rare et cher, fragile surtout, car les bouteilles de verre ont la fâcheuse habitude d'exploser dans les caves ou de ne produire que très peu de mousse lorsqu'on les ouvre ! De plus, le liquide est troublé par des filaments peu appétissants... et des dépôts de levures mortes qu'il faut éliminer.

C'est au XIXe siècle qu'un employé d'une maison de commerce de Reims tenue par une certaine Nicole Ponsardin, veuve Cliquot, découvre comment rassembler ce dépôt en faisant régulièrement tourner les bouteilles, tête en bas, et l'évacuer à la faveur d'un changement de bouchon. Cette découverte marque le début de la mécanisation dans la mise en bouteilles du vin et de son bouchage. Par la suite, les progrès porteront sur l'amélioration de la résistance du verre.

Le saviez-vous ?

Plaquomusophilie, plaquomusophile

Un(e) plaquomusophile collectionne les petites plaques en fer blanc vernies posées sur les bouchons et retenues par un fil appelé le muselet ornant les bouteilles de champagne.

La légende voudrait que Dom  Pérignon, à la fin du XVIIe siècle, soit à l'origine de leur utilisation. Il est en tout cas indéniable que, dès lors que le Roi a autorisé le transport des vins mousseux en flacon (1728), il a bien fallu utiliser un système pour maintenir en place le bouchon.
Dans le milieu des collectionneurs, certaines capsules de muselets peuvent atteindre des prix très élevés en fonction de leur rareté, de la signature de leur créateur, ou encore des défauts qu'elles peuvent présenter ! Telle la capsule dessinée par le joailler Pascal Morabito, en plaqué or et ornée d'un petit diamant, pour plusieurs de ces célèbres vins.

La surmaturation des claies au soleil, les vins de Sauternes et le vin de paille

La surmaturation des grappes de raisin peut s'effectuer de plusieurs manières : soit au moment de la vendange, par sélections successives des grains et des grappes, soit par fractionnement des vendanges elles-mêmes. Laisser les grains sécher au soleil entraîne, sur les baies, le développement d'une moisissure encore appelée « pourriture noble ». Cette technique est employée au XVIIIe siècle pour obtenir les vins de Sauternes, certains vins d'Allemagne et les Tokay (ou Tokaj) de Hongrie.

Ce type de récolte nécessite une main d'oeuvre importante pour un faible rendement : à Yquem, au sud de Bordeaux, il faut entre cinq et dix vendangeurs pour récolter une à deux barriques de grains par jour.

La fabrication du vin de paille, spécialité du Jura, reprend un procédé hérité d'une technique plus ancienne : les grappes issues de la vendange sont déposées sur des claies ou sur de la paille et mises à sécher au soleil. Sous l'effet de l'évaporation, les raisins perdent une partie de leur eau, ce qui a pour effet de concentrer les sucres. L'estimation de la durée du séchage est fondamentale dans cette opération, où les grappes ne doivent être ni acides et manquant de sucre ni, au contraire, trop séchées. Elles sont ensuite pressées et les moûts très sucrés qui en sont retirés sont mis à vieillir dans des tonneaux de chêne, pendant deux ou trois ans. Pour obtenir vingt-cinq litres de vin de paille, il faut 100 kg de raisin. Les manipulations délicates et coûteuses expliquent la rareté de ce vin.

Le bouchon de liège, une redécouverte du XVIIe siècle

Pour le moine bénédictin qui a la charge des vins à l'abbaye d'Hautvillers, Dom Pérignon, le problème qui se pose est de taille : comment empêcher le vin mousseux de s'échapper de la bouteille lors de sa maturation ? La tradition rapporte qu'il remarqua que des pèlerins espagnols, en visite en Champagne, fermaient leurs gourdes avec des morceaux de liège. Notre moine imagina alors que ce matériau imputrescible pourrait être idéal pour boucher ses bouteilles...

Le liège, utilisé pour obturer les amphores entre le Ve siècle avant notre ère et le IVe siècle de notre ère, était en effet tombé dans l'oubli lorsqu'on a commencé à employer des outres de peaux ou des tonneaux fermés avec des chevilles de bois pour le transport et la conservation du vin.

C'est donc une très ancienne technique que ce bénédictin du XVIIe siècle remet en lumière. Très vite, il s'est avéré que le liège utilisé pour boucher les bouteilles de verre facilitait le vieillissement et la bonification du vin.

Les traficotages du vin

L'augmentation du commerce du vin, la généralisation des lieux de consommation et la recherche de profits toujours plus importants pour les négociants sont à l'origine des pratiques de falsification des vins.

« J'étais forcé de boire ici des vins nouveaux ; car on n'en boit pas d'autres dans le pays. Ils ont le secret de les éclaircir avec des copeaux de bois et des blancs d'oeufs ; de manière qu'ils lui donnent la couleur du vin vieux ; mais ils ont je ne sais quel goût qui n'est pas naturel. » Montaigne relate cette expérience dans son Journal de voyage en Italie, alors qu'il traverse la province de Carrare.

Le vinage, qui consistait à ajouter de l'alcool au vin, de même que le sucrage, qui permettait lui aussi d'élever le degré d'alcool d'un vin, sont attestés depuis l'Antiquité. Le « mouillage », où l'on ajoute de l'eau au vin, est la falsification la plus facile à réaliser. Le mélange des vins est également très répandu ; il permettait de donner au vin blanc une couleur rouge en le mélangeant avec des raisins très teintés. Cette manipulation est déjà dénoncée comme « un déguisement » par la commission consultative du commerce sous Henri IV.

Ces pratiques interlopes ont longtemps reposé sur l'ambiguïté même du vin, mélange d'eau et d'alcool contenant des arômes, des colorants et des acides. Les corrections apportées au cours des étapes de vinification pouvaient basculer rapidement du côté de la fraude.

Les premières plantations d'Amérique du Nord

En Amérique, les vignes grimpent aux arbres. C'est cette espèce, appelée Vitis labrusca, que découvrent les réfugiés huguenots chassés de France et fuyant les guerres de Religion lorsqu'ils débarquent en Nouvelle-France (Canada) et en Floride au XVIe siècle. Les tentatives pour en extraire du vin donnent des résultats médiocres. Les vins sont soit très forts, soit trop acides. En effet, très différentes des variétés européennes, ces vignes « arboricoles » produisent d'énormes grappes de petites baies à la peau très dure. Sur la côte Est prospèrent également des vignes inconnues. Tous les plants qu'on tente d'importer d'Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles meurent faute de pouvoir s'acclimater.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis et grand amateur de vin, tente vainement d'obtenir un croisement qui permette de produire un vin qui n'aurait pas besoin d'être coupé avec de l'eau-de-vie. Il semble que les premiers cépages conformes à ce désir, tel l'alexander, soient issus d'un croisement naturel entre Vitis labrusca et Vitis vinifera. Mais le premier vin totalement américain obtenu à partir d'un hybride de labrusca et d'autres espèces indigènes ne fut réellement produit qu'à partir de 1823, dans le Maryland : il reçut de son obtenteur, John Adlum, le nom de « Tokay » avant d'être renommé Catawba, du nom d'un peuple indien.

À la fin du XVIIIe siècle, les Espagnols installés au Mexique envoient des troupes militaires et des missionnaires en expédition sur la côte ouest. Les missionnaires franciscains, menés par le père Junipero Sera, implantent 21 missions le long de la côte et y plantent les premières vignes, à partir d'un cépage dénommé Criolla ou Mission, vraisemblablement issu de Vitis vinifera. La mission San Gabriel, à Los Angeles, se taille une solide réputation pour son énorme production de vin : en 1830 ses 160 000 pieds de vignes donnent 132 000 litres par an. Le vin était alors essentiellement destiné à un usage médical.

Des vendanges manuelles aux vendanges mécaniques

Des vendanges manuelles aux vendanges mécaniques

Vendanges en Beaujolais au début du XXe siècle.

Suivant le mouvement général qui s'affirme dans l'agriculture, la viticulture française des années 1960 se mécanise. Au niveau des vendanges, on observe plusieurs étapes. Pour diminuer la pénibilité du travail et augmenter le rendement des coupeurs, ce sont d'abord des systèmes de manutention qui sont mis au point. Par la suite, les porteurs sont remplacés par des machines aux fonctionnalités bien définies : groupeuses-chargeuses, groupeuses à alimentation par gravité, groupeuses à coupe... toutes sortes de machines ont vu et voient encore le jour.
 
À partir des années 1970, la mécanisation devient véritablement opérationnelle grâce à une machine à vendanger mise au point aux Etats-Unis et qui accroît ses performances au fil des années. Une « vendangeuse » permet aujourd'hui de récolter le raisin en secouant latéralement le pied de vigne pour décrocher les grains en les séparant des autres éléments qui pourraient s'y être mêlés, tels que feuilles, pétioles, rafles. Les machines d'aujourd'hui effectuent un ensemble d'opérations - coupe, nettoyage, portage et transfert dans les bennes -, et sont employées surtout dans le contexte de production intensive.
 
Si les machines à vendanger ont abaissé considérablement les coûts liés à l'emploi de main-d'oeuvre agricole, elles ne sont toutefois ni partout répandues ni utilisables dans toutes les situations. Certaines appellations de vins de qualités supérieures en interdisent l'emploi et privilégient les vendanges manuelles.

Les maladies de la vigne au XIXe siècle

Jusqu'au XIXe siècle, les vignerons craignaient surtout les grêles et les gelées. Les maladies de la vigne étaient rares. On connaissait la chenille de la cochylis, un lépidoptère qui s'attaque aux feuilles et aux fruits. Mais en 1827 la pyrale fait son apparition, défeuillant complètement les ceps et favorisant l'installation d'un autre parasite, le botrytis, responsable de la pourriture grise des grains. En 1845, c'est l'oïdium qui s'attaque aux feuilles de vigne et aux grappes, qu'il recouvre d'une poussière grisâtre qui entraîne leur dessèchement.

C'est surtout l'apparition du phylloxéra, en 1870, qui provoque les plus grands dégâts. En moins de trente ans, ce minuscule puceron originaire d'Amérique envahit les vignobles, avec des conséquences sociales catastrophiques : plus de deux millions d'hectares sont touchés et de nombreux vignerons ruinés. De nombreux cépages locaux disparaissent alors du territoire. Tous les savants de l'époque se mobilisent pour combattre l'épidémie. Afin de reconstituer un nouveau vignoble, on importe de nouvelles espèces, on crée des variétés hybrides, on bouture et on greffe d'autres espèces. La crise du phylloxéra est à l'origine de la mise en place de la viticulture moderne.

Une découverte fortuite : la bouillie bordelaise

Au milieu du XIXe siècle, les attaques de phylloxéra et d'oïdium provoquent des ravages considérables dans le vignoble européen et compromettent les récoltes.

Le mildiou apparaît en 1878 en Gironde. En provenance d'Amérique, ce champignon parasite dénommé Plasmopara viticola se développe rapidement, favorisé par l'humidité du climat. Il s'attaque d'abord aux feuilles, puis aux grappes, qui finissent par se dessécher ou pourrir sur pied. Un botaniste, Alexis Millardet, avait remarqué que les traces de cuivre pouvaient entraver la germination du champignon parasite. Dans le Bordelais, les vignerons de Saint-Julien avaient en effet coutume de pulvériser du vert-de-gris sur les feuilles des vignes longeant les chemins pour dissuader les voleurs de prendre du raisin, et Millardet avait noté que ces vignes étaient épargnées par le champignon. Les recherches qui suivirent ses observations permirent de préciser les proportions efficaces d'un mélange à base de sulfate de cuivre neutralisé par un lait de chaux, dont le chimiste Ulysse Gayon mit au point la formule exacte.

Ce pesticide qui dorénavant s'appellera « bouillie bordelaise » est rapidement utilisé à grande échelle, à l'initiative d'un ingénieur et homme politique de Bordeaux, Nathaniel Johnston. Projetée par aspersion au moyen d'un appareil pulvérisateur mieux connu sous le nom de « sulfateuse », elle est toujours employée aujourd'hui, aux côtés d'autres fongicides.

La production de vin dans le monde au début du XXIe siècle

La production de vin dans le monde au début du XXIe siècle

Vignobles de Napa Valley (Californie, États-Unis).

La surface mondiale plantée en vignes est estimée à environ 7 636 millions d'hectares pour une production de vin (hors moûts et jus) de 267,8 millions d'hectolitres (chiffres de l'année 2009) ! Ces dernières années, avec la crise économique et financière, les surfaces et le volume produit tendent à baisser. Chez les 27 pays producteurs de l'Union Européenne, le volume représente 161,6 millions d'hectolitres pour 3 818 millions d'hectares de vignoble. L'Italie, l'Espagne et la France sont les plus gros producteurs de vin. Ces trois pays sont aussi les premiers exportateurs de vins au monde (de 35 à 47 millions d'hectolitres par pays).
 
Pourtant, en France, la tendance est à l'arrachage des plants et le volume de production n'a pas été aussi faible depuis 1991. Ce recul s'observe également en Espagne. Encouragé au niveau européen par une prime à l'arrachage des plants, il résulte autant d'une consommation en baisse continue depuis trente ans dans les pays européens que des effets de la crise économique mondiale, qui contribue à abaisser la demande et les volumes de vins exportés.
 
Ailleurs dans le monde, les pays possédant les plus vastes surfaces plantées en vignes sont la Chine, la Turquie, les Etats-Unis, l'Argentine, le Chili, l'Australie et l'Afrique du Sud. Mais c'est aux États-Unis, en Argentine et en Australie que les volumes produits sont les plus importants (20, 12 et 11 millions d'hectolitres).

Le saviez-vous ?

Les pinardiers

Les pinardiers étaient des navires-citernes destinés au transport du vin en vrac. Le vin était chargé puis déchargé directement dans des terminaux à cuves spécialement aménagés. Très employés dans la deuxième moitié du XXe siècle, faisant transiter le vin entre le Maghreb et les ports français de la Méditerranée, ils ont aussi acheminé le vin des pays de Loire et de Bordeaux vers les continents nord-américain et asiatique (Chine), dans les années 1960. Aujourd'hui, le vin étant mis en bouteille sur le lieu de production, les pinardiers ne sortent plus guère.