Histoire du vin : Antiquité Culture et société

Le prix du vin dans les tavernes de Pompéi

Bien que la ville de Pompéi ait été secouée par le tremblement de terre de 63 puis ensevelie lors de l'éruption du Vésuve en 79, les vestiges des tavernes qui parsemaient certains quartiers ont été retrouvés intacts, certaines alignées les unes à côté des autres. Dans une rue qui mène aux bains publics, on en a dénombré pas moins de huit sur une longueur de 80 m ! De nombreuses tavernes avaient été reconstruites après le tremblement de terre.

Sur le mur de l'un de ces bistrots antiques était peinte la carte des vins que l'on pouvait acheter en carafe ou en cucumas (« chaudrons, marmites »), pour des prix allant de 1 à 4 as (1 as équivaut à 1/4 de sesterce).

 

Pour un, vous pouvez boire du vin,
Pour deux, vous pouvez boire le meilleur
Pour quatre vous pouvez boire du falernum.
... du nom d'un des grands crus de cette époque.

Il est peu probable que du vrai Falerne ait été vendu ici. Plusieurs raisons ont été avancées. D'une part, ce vin, destiné à l'aristocratie, était vendu très cher et le voir proposé pour seulement quatre fois le prix d'un ordinaire semble suspect. D'autre part, beaucoup d'amphores avaient été détruites lors du tremblement de terre de 63, provoquant une raréfaction de la quantité disponible ; de plus, daté au plus tôt de 63, ce vin de Falerne, un cru qui devait vieillir une vingtaine d'années avant d'être consommé, n'aurait eu que seize ans d'âge au moment de l'éruption du Vésuve : il aurait donc été trop jeune pour être commercialisé.

La même taverne abritait un magnifique comptoir de marbre, et des amphores vidées de leur contenu attendaient d'être remplacées par d'autres, remplies de nectar. Une seule de ces amphores - appelées « vaisseaux » - contenait 26 litres de vin et pouvait être consommée en une fois par un groupe de clients sortant des bains publics, assoiffés par la chaleur des thermes brûlants.

Le saviez-vous ?

Thermopolium ou thermipolium

Le terme latin thermopolium (ou thermipolium) désigne un cabaret ou une taverne où l'on servait des boissons chaudes.

Couper son vin, une façon de boire

Dans l'Antiquité, boire le vin coupé d'eau était de bon aloi, un signe de civilisation. En outre, on considérait que le boire pur nuisait à la santé. Les Grecs, puis les Romains, buvaient ainsi le vin mélangé, à la différence des Gaulois. Chez les Grecs, l'eau était mélangée au vin dans un grand vase ou cratère, alors que chez les Romains, chaque convive faisait lui-même son mélange : généralement deux ou trois mesures d'eau pour une mesure de vin.

Le vin était bu chaud ou rafraîchi, selon les goûts et en fonction des saisons. On pouvait se procurer du vin dans un thermopolium, l'ancêtre de notre bistrot, où le vin était conservé dans des sortes de cuves chauffantes. Dans les banquets aristocratiques, l'eau chaude était maintenue à température dans un chaudron appelé authepsa (« autochauffant » en grec).

Pour boire le vin frais, on utilisait de la neige, stockée dans des cavités naturelles ou artificielles qui servaient de glacières d'où l'on prenait l'eau fondue. On pouvait également filtrer le vin à travers de la neige à l'aide d'une passoire.

Le décret de Domitien en 92 de notre ère

La culture de la vigne s'étend progressivement au Ier siècle sur le territoire de la Gaule : en Narbonnaise toujours, où elle gagne encore en superficie, mais aussi en Aquitaine, dans le Gers, en Bourgogne, dans le Val de Loire, en région parisienne et en Normandie. L'essor de la production de vin est tel que le pouvoir romain s'en inquiète. En l'an 92, la récolte de blé ayant été mauvaise et le vin trop abondant, Domitien décide d'interdire la plantation de nouvelles vignes en Italie et ordonne d'arracher la moitié des plants dans les provinces.

Plusieurs explications ont été avancées concernant ce décret : afin de favoriser les gros producteurs qui le soutenaient, l'Empereur aurait tenté de protéger le vin d'Italie et de maintenir des prix élevés face à la concurrence des vins produits dans les provinces ; mais l'interdiction pourrait aussi être liée à l'inquiétude du pouvoir face à la pénurie de blé, du fait de la conversion d'un nombre très important de terres cultivables en vignobles, plus rentables, et à une attitude protectionniste vis-à-vis des vins italiens, après que l'éruption du Vésuve en 79 ait éradiqué tous les vignobles de la région de Pompéi, grande région productrice.

Face à l'impopularité de son décret et aux protestations qui s'en suivent, l'empereur Domitien renonce à le faire appliquer strictement, d'autant que la récolte de blé se normalise l'année suivante. La vigne continuera de progresser en Gaule durant un siècle, entraînant l'agrandissement des domaines, l'amélioration et l'uniformisation des installations vinicoles, et le IIe siècle marquera l'apogée de la production de vin gaulois.

Les crises vinicoles en Gaule au IIIe siècle : l'édit de Probus (vers 280)

Les vestiges mis au jour lors des fouilles archéologiques montrent qu'entre la fin du IIe siècle et celle du IIIe siècle, certains domaines viticoles qui s'étaient développés en Gaule au cours de la période précédente sont abandonnés. Dans un premier temps, ce sont surtout des fermes modestes qui sont touchées, dans les régions de la Narbonnaise et de l'Aquitaine ; on suppose que certains domaines ont pu être achetés par d'autres, plus grands, laissant entrevoir une possible concentration des exploitations viticoles. Seuls les grands domaines sont épargnés et continuent à produire du vin.

À partir du milieu du IIIe siècle, la crise se généralise dans le sud et le sud-est où, comme en témoignent les vestiges archéologiques, une partie des domaines ne sont plus cultivés. Faut-il y voir l'effet d'une surproduction entraînant l'appauvrissement des sols et un changement d'affectation de terres autrefois consacrées à l'élevage ou aux cultures céréalières, comme cela a été mis en évidence dans le Tricastin ? Les difficultés du recrutement de main-d'oeuvre spécialisée ont-elles amplifié le phénomène ? Aucune hypothèse n'a encore pu être confirmée.

Vers 280, en réaction à l'affaiblissement de la viticulture, l'empereur Probus abroge l'édit de Domitien, qui du reste avait été très irrégulièrement appliqué ; il autorise la plantation de vigne et la production de vin dans toute la Gaule (et non plus seulement en Narbonnaise), en Pannonie (région située à l'emplacement de l'actuelle Hongrie, et dont Probus lui-même est originaire), ainsi qu'en Hispanie. Ces mesures de relance, entre autres, ont pu favoriser le peuplement et le développement de nouveaux vignobles dans ces régions.

L'extension de la culture de la vigne au IIIe siècle

Au IIIe siècle, afin de s'assurer la fidélité des populations situées aux confins de l'Empire, Probus autorise la plantation de vigne et la production de vin dans toute la Gaule du nord et en Bourgogne. L'expansion, qui s'étendit jusqu'à Trèves ainsi que sur les bords du Rhin et dans les territoires qui recouvrent l'actuelle Hongrie, l'Autriche, la République tchèque et la Slovaquie, fut rendue possible par la mise au point de nouveaux cépages, plus adaptés aux hivers rigoureux, et grâce au perfectionnement des techniques de vinification.

En Rhénanie et en Moselle sous l'Antiquité

Depuis plus de vingt ans, les fouilles archéologiques menées dans cette région ont permis d'écrire avec plus de précision l'histoire de la viticulture autour de Trèves et dans le Palatinat. Des installations de production, des fouloirs, des pressoirs à levier, à vis, et des cuves de recueil du moût ont été mis au jour, mais aucune trace de dolia permettant la conservation et le vieillissement du vin n'a été détectée. En revanche, on a découvert l'existence d'apothèques, ces « caves » où les amphores étaient exposées à la chaleur afin d'accélérer le vieillissement du vin ; elles constituent une particularité régionale dans la production vinicole. La présence d'ateliers de potiers fabriquant des amphores dans les vallées de la Moselle, du Rhin, dans le Palatinat et le Bade-Wurtemberg a de même été prouvée.

D'une façon générale, la prospérité de la viticulture a été très dépendante du contexte politique de la région. L'activité ne démarre réellement qu'au milieu du IIe siècle. Dans la vallée de la Moselle, le vignoble et la production de vin sont bien établis à la fin du IIIe siècle, à l'époque des deux Auguste, où Trèves est la capitale de l'Empire romain d'Occident et donc au centre d'échanges importants. On pense que les installations viticoles étaient alors isolées au pied des vignobles, et non incluses dans de grandes villae comme partout ailleurs en Occident. À partir de la seconde moitié du IVe siècle, plusieurs d'entre elles sont détruites par des incendies, sans doute liés aux invasions, puis abandonnées. À la fin de l'Antiquité tardive (Ve siècle), le vignoble, ravagé par les guerres, connaît une phase de déclin rapide. La viticulture ne disparaît pas cependant complètement puisque la production de vin est encore attestée au tournant du VIe siècle et pour le haut Moyen Âge par le biais des sources écrites.

Le saviez-vous ?

Dolium, pluriel dolia

Les dolia étaient d’énormes jarres en céramique destinées au stockage et pouvant contenir des liquides (vin, huile) ou des solides (céréales). Une fois qu'elles étaient installées, leur poids interdisait de les déplacer. Elles étaient en outre fragiles et cassaient facilement.  

Les dolia pouvaient être enterrées et servir ainsi de grenier, tout comme être utilisées pour le transport du vin en vrac par bateau.

Consommation et vente de vin dans l'Antiquité

Comment le vin était-il vendu au détail et quels étaient ses lieux de consommation ? Les vestiges d'une taverne gauloise et l'analyse de la stèle funéraire d'un caviste antique semblent montrer que bistrots et commerces du vin ne sont pas, en Gaule, des inventions récentes...

Taverne gauloise dans le Puy-de-Dôme
En 2001, les vestiges d'une taverne gauloise située sur une place qui pourrait être un ancien marché ont été mis au jour sur le site de Corent (Puy-de-Dôme). Il s'agit d'un bâtiment sur poteaux de 20 m de long, construit sur une cave creusée dans la roche et dont les grandes dimensions (18 m de long, 2 m de large et 2 m de profondeur) suggèrent qu'il ne s'agit pas de la cave d'un particulier. Parmi le mobilier retrouvé figurent 3 tonnes de tessons d'amphores, qui ont servi à combler l'espace lors de son abandon dans le second quart du Ier siècle avant notre ère. De nombreux objets ou indices permettent de supposer que le bâtiment servait à la fois au stockage, à la vente et à la consommation de vin : une vingtaine d'amphores complètes, couchées et ou empilées au fond de la cave, associées à des vases de stockage, des cruches et des gobelets, ainsi que des fragments de situles, de cruches, de passoires, de cols d'amphores « sabrés » et de centaines de jetons de compte en céramique (pour payer).

Monument au marchand de vin en Côte-d'Or
Quant au « monument au marchand de vin », il s'agit d'un ensemble de divers éléments funéraires, découvert au XIXe siècle sur la commune de Til-Châtel (Côte-d'Or). Il comporte des stèles et un monument plus important, enclos, fait de blocs de calcaires et d'une stèle portée par un piédestal formant un tombeau. La scène qui y est sculptée représente une succession de boutiques alignées le long d'une rue, ce qui semble indiquer que, de leur vivant, les défunts avaient une activité commerciale. Sur la gauche figure une scène de distribution ou de vente au détail d'un liquide qui peut être identifié à du vin. Stocké en vrac, comme c'est souvent le cas pour le vin, celui-ci est transféré dans des récipients à l'aide de mesures, dont un ensemble, de tailles et de formes différentes, est accroché derrière les marchands. Des vases plus petits, que l'on aperçoit à côté, étaient peut-être utilisées pour mesurer des liquides plus précieux, comme le [page|13327|defrutum], ou pour couper le vin. Cet ensemble monumental, daté des IIe et IIIe siècles, témoigne de l'importante activité économique de cette région bourguignonne située sur un axe commercial reliant Lyon à Trèves (Allemagne). Les scènes sculptées attestent l'aspect florissant de la production vinicole dans ces territoires de Bourgogne.

Le saviez-vous ?

- Defretum

Le defrutum était un vin cuit, parfois agrémenté d'olives noires et d'aromates. Produit dans la région située au débouché du Guadalquivir, il était exporté partout dans l'Empire romain dans des amphores ovoïdes à fond pointu et col à bords évasés appelées « Haltern 70 » (du nom du site rhénan où elles ont été pour la première fois identifiées).

- Apoteca

Ce terme, issu du grec apothêkê, qui signifie « boutique », désigne un dépôt pour toutes sortes de denrées, gardées non pour la vente mais pour l'usage particulier de leur possesseur.

Chez les Romains, ce mot désignait un local destiné au vin dans la partie supérieure de la maison : on l'y gardait pour qu'il vieillisse dans les amphores, tandis que le vin nouveau, stocké dans les dolia (en futailles), était placé en bas, dans la cella vinaria.

Le marquage des vins prestigieux

Au cours de la période hellénistique (IVe au Ier siècle avant notre ère), les grands vins étaient reconnaissables par les formes des amphores qui leur étaient propres. Des marques apposées sur les anses désignaient les cités, soit par leur nom soit par un symbole. Les timbres estampillant les amphores en reprenaient souvent la forme. L'identification était ainsi aisée.

À l'époque romaine, le timbrage n'est plus systématique, il disparaît même des amphores importées d'Orient à partir du Ier siècle. Les timbres n'ont plus la même signification : ils désignent soit les propriétaires des grands domaines, soit les négociants. Et toutes les amphores ne sont pas marquées.

Il existe d'autres moyens d'identifier les vins et d'appréhender leur commerce : les tituli, par exemple, inscriptions peintes en rouge ou en noir sur les cols d'amphores, désignent leur contenu et leur origine, renseignent sur la qualité du vin et parfois sur son âge. Pour les vins prestigieux, la date de mise en amphore est parfois même indiquée !

Le dernier grand cru de l'Antiquité

La plus ancienne mention d'une appellation régionale inscrite sur une amphore romaine mentionne un Falerne (falernum), vendangé en 102 avant notre ère. On a tout lieu de penser qu'il s'agit d'un grand cru, la liste de ceux de l'Empire n'ayant été établie que plus tard, au début du Ier siècle avant notre ère. D'après Horace (-65/8 de notre ère), ces grands crus seraient le Falerne (Campanie, aux alentours de Naples), le vin des Monts Albains (Latium, aux alentours de Rome), et le cécube (caecubum), cultivé selon Pline dans des « peupleraies marécageuses » (plaine pontine, Latium). Le Falerne est le plus célèbre, il en existait trois sortes : un fort (austernum), un doux (dulce) et un léger (tenue). Les auteurs s'accordent à dire que celui provenant du « clos Faustinien » était le meilleur. La région couvrant le Latium et la Campanie produisaient aussi d'autres grands crus : les vins du mont Massique et les vins de Calès. Ailleurs, le vin de Tarente en Apulie (Pouilles) au sud, et le rhétique, produit au nord de Vérone, étaient aussi considérés comme des grands crus.

Au Ier siècle, Pline l'Ancien établit un inventaire plus étoffé, dans lequel il cite également des vins non classés, dont ceux du versant Adriatique et ceux des côtes de la mer tyrrhénienne (Étrurie, Ligurie, Narbonnaise). Il y ajoute les crus de l'Italie intérieure et ceux d'Espagne. À cette époque, les grands crus sont des vins liquoreux mais, au siècle suivant, le goût s'accorde sur des vins plus secs. C'est à Dioclétien que l'on doit la dernière liste établie des grands vins de l'Antiquité, en 301. Dans cette liste, le Falerne est toujours présent.