Histoire du vin : Antiquité Échange et commerce

Le transport du vin en vrac par bateau

Avec le développement de son commerce, il devient nécessaire de trouver le moyen de transporter le vin en grosses quantités. Des épaves de « bateaux-citernes » ont été mises au jour et fouillées sur la côte méditerranéenne dans la région de Rome, en Corse et autour des îles d'Hyères. Ces navires, équipés spécialement pour transporter le vin, abritent entre deux et quinze dolia, hautes de 1,60 m à 1,80 m, et peuvent charger jusqu'à 2 500 litres ! Les dolia étaient fixées à l'intérieur des embarcations, sans doute au moment de la construction. Pour la douzaine d'épaves retrouvées, toutes les dolia portent l'estampille de leur fabricant, spécialisé dans ce type de contenant. En plus de ces grandes cuves, les bateaux accueillaient fréquemment quelques centaines d'amphores, placées à l'avant et à l'arrière.

Utiliser de grandes cuves est plus avantageux que de recourir aux amphores, dont la contenance est moindre et qui occupent plus d'espace. Il fallait des ports aménagés spécialement pour leur déchargement (canaux, quais, et entrepôts de stockage). Le vin était transvasé depuis les bateaux dans des entrepôts abritant des dolia de stockage avant d'être reconditionné et distribué. Ces formes d'aménagements ont été identifiées à Ostie, l'avant-port de Rome, à Marseille, à Lyon et à Narbonne. En revanche, on ignore encore comment le vin était transvasé : peut-être à l'aide d'un système de pompe, mais aucune trace n'a été mise à jour. Les épaves retrouvées sont datées entre -10 et le milieu du Ier siècle de notre ère. Il est probable que ce mode de transport ait été délaissé à cause de la grande fragilité des dolia, qui pouvaient se casser et provoquer le naufrage du bateau.

Le saviez-vous ?

Dolium, pluriel dolia

Les dolia étaient d’énormes jarres en céramique destinées au stockage et pouvant contenir des liquides (vin, huile) ou des solides (céréales). Une fois qu'elles étaient installées, leur poids interdisait de les déplacer. Elles étaient en outre fragiles et cassaient facilement.  

Les dolia pouvaient être enterrées et servir ainsi de grenier, tout comme être utilisées pour le transport du vin en vrac par bateau.

La « Gauloise 4 », format d'amphore pour le vin des Gaules

Le grand vignoble de la Narbonnaise se développe en Gaule au tournant du Ier siècle. Produit massivement sur la côte méditerranéenne, le vin sera exporté vers tous les territoires de l'Empire romain. La production viticole de cette région atteindra son apogée au milieu du IIe siècle.

La mise au point de contenants spécifiques et standardisés est favorisée par la présence romaine, organisatrice de ce commerce : les amphores typiques de la Narbonnaise à cette époque présentent un fond plat. On les appelle des « Gauloise 4 ». Ces amphores légères d'environ 10 kilos pouvaient recevoir une trentaine de litres. Du fait de leur fragilité, on les entourait d'un paillon, sorte d'enveloppe faite de paille.

Pour fabriquer ces amphores en grand nombre, il a fallu construire des ateliers de potiers de dimensions nouvelles. Ainsi, la fouille d'un atelier mis au jour à Sallèles d'Aude, près de Narbonne, a permis d'estimer que 3 500 amphores de 30 litres pouvaient y être produites chaque année. La capacité de production de cet atelier était adaptée à un vignoble d'environ 35 hectares.

Ces amphores portaient des inscriptions, des tampons et des timbres indiquant le type de breuvage qu'elles contenaient et son origine. L'étude de leur dispersion sur le territoire de l'Empire permet de dresser une cartographie des grandes routes de l'exportation du vin de la Narbonnaise.

Le saviez-vous ?

- L'amphorologie

L'amphorologie est une branche récente de l'archéologie qui étudie les amphores. En examinant les formes, les galbes, les courbures, les cols, les poignées et les matériaux utilisés, il est possible de déterminer les provenances des différentes amphores, et ceci, même à partir d'un tout petit bout de tesson. La méthode utilisée consiste à introduire les paramètres observés dans des bases de données sans cesse enrichies.
L'étude des amphores est une ressource précieuse pour connaître les échanges marchands et l'histoire du commerce des vins.

- Timbre d'amphore

Un timbre d'amphore (ou timbre amphorique) est une marque gravée avant la cuisson de l'argile au moyen d'un cachet sur l'anse ou le col de l'amphore. De nos jours, il constitue pour les archéologues une précieuse information sur la provenance de l'amphore, l'atelier où elle a été fabriquée, donnant parfois le nom de la personne chargée d'en contrôler le contenu.
Un autre marquage apposé sur le bouchon de liège indiquait le contenu et la date de mise en amphore du vin.

Les amphores et le commerce du vin à Lugdunum (Lyon)

Grâce aux amphores, on prend la mesure de ce que pouvait être le commerce du vin dans la capitale des Trois Gaules. L'étude des inscriptions et des timbres montre l'activité des négociants alors organisés en une puissante corporation. On situe les entrepôts et les quais de ce négoce dans le quartier des Canabées (actuel quartier d'Ainay). Lyon était non seulement un centre de consommation, mais aussi un centre de redistribution. Le vin y arrivait de toutes les régions de l'Empire : Italie, péninsule ibérique, Gaule méridionale, Méditerranée orientale, Afrique du Nord. Il en repartait notamment vers les régions du Nord (Rhin, Moselle), comme l'attestent des mentions de négociants de Trèves découvertes sur des amphores.

La présence d'amphores en provenance d'Étrurie, de Campanie et d'Adriatique semble prouver que les vins d'Italie étaient importés bien avant la Conquête de la Gaule en -52. Après la Conquête, les amphores deviennent minoritaires dans le transport du vin, le restent au cours du Ier siècle de notre ère, puis disparaissent, probablement remplacées par le tonneau.

L'importation de vins des îles de Méditerranée orientale (Rhodes, Cos, Chios...) au Ier siècle de notre ère se manifeste par un nombre significatif d'amphores de ces régions. Des amphores datées des Ve et VIe siècles ont été identifiées comme provenant de Gaza, qui produisait alors un vin réputé. On a même retrouvé des amphores ayant servi à l'importation de vin de Maurétanie (Afrique du Nord) à partir du IIIe siècle !

Des vins de la péninsule ibérique arrivent à Lyon dès la fin du Ier siècle avant notre ère dans des amphores originaires de Létanie (Catalogne) et de Bétique (Andalousie), lesquelles ne laissent plus trace à partir du IIe siècle de notre ère.

Les tonneaux gaulois

Les archéologues trouvent rarement des tonneaux à étudier : la matière organique dont ils sont faits se décompose et ne laisse pas de traces. Trois cents vestiges de tonneaux et tonnelets ont cependant été découverts en Europe du Nord, entre l'Ecosse et la Hongrie, principalement du côté du Rhin. Ils sont datés du Ier au IVe siècle de notre ère, dont une grande majorité des deux premiers siècles.

Les tonneaux de l'Antiquité se composaient d'un nombre variable de planches, les douelles ou douves, appelées aussi tabulae. Les fonds étaient faits d'un ou de plusieurs morceaux, selon leur taille, qui étaient encastrés dans des jables, les rainures incisées situées aux deux extrémités du fût. L'essence majoritairement employée pour leur fabrication était, jusqu'au IIe siècle, le conifère puis le chêne. Ces tonneaux étaient cerclés avec des lanières d'un bois plus souple, comme le noisetier. Des différences de taille, de formes et de volumes permettent d'en dresser une typologie.

En Gaule, l'usage du tonneau pour le transport du vin s'est répandu à la fin du Ier siècle avant notre ère, au moment où la viticulture et le commerce se développaient considérablement. À Lyon, son utilisation semble avoir été très importante, entre les Ier et IIe siècles, pour l'acheminement des vins produits dans la région. Les tonneaux étant marqués au fer rouge, les inscriptions renseignent sur l'identité du tonnelier, des négociants, du producteur, ainsi que sur le contenu. Ce conditionnement a pu être préféré aux amphores, peu adaptées au transport sur les fleuves et les routes et moins maniables dans les transbordements. En outre, d'une contenance supérieure à celle des amphores, les tonneaux étaient plus rentables.

Le saviez-vous ?

Sucellus, tonnelier mythique des Celtes

L'étymologie du mot « tonneau » est incertaine : on pense que ce mot est lié au terme celte tun, qui signifie « cuve ». Il est sans doute apparenté à « tonne », tunna, mot gaulois qui désigne un grand tonneau et dont on retrouve la forme tonn, « peau » dans l'ancien irlandais. Ce sens initial aurait les valeurs de « vase, outre » (pour contenir le vin), d'où « tonneau ».
Par ailleurs, les Celtes rendaient un culte à Sucellus, le dieu des forêts et de la nature nourricière, premier tonnelier de la mythologie gauloise. Il est souvent représenté tenant un maillet, un chaudron, un tonnelet ou une amphore vinaire.

Rome et le commerce du vin en Méditerranée occidentale

Du IIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère, le vin est l'un des produits les plus échangés entre les pays qui commercent en Méditerranée.

Après la disparition des influences grecques et étrusques, la Rome républicaine (Ve-Ier siècle avant notre ère) s'est d'abord efforcée d'imposer, au travers de mesures coercitives (interdiction de cultiver la vigne, arrachage des plants) appliquées aux populations voisines, le vin produit sur son propre territoire. Les grands crus de l'Italie romaine naissent à cette époque, grâce à l'amélioration des cépages et à la mise au point de cépages nobles (Falerne, Cécube, vins de Chio, de Rhodes...). En revanche, les vins exportés en grandes quantités ne sont pas toujours de bonne qualité. Les millions d'amphores retrouvées en Gaule attestent le dynamisme de ce commerce.

À partir de l'instauration de l'Empire et de la romanisation, les provinces développent des viticultures régionales et produisent des vins de toutes les qualités, du bas de gamme aux grands crus. Certains vignobles connaîtront un essor considérable, comme ceux situés dans le sud de la Gaule ou dans la péninsule ibérique, entre Tarragone et Barcelone. En Afrique du Nord, ce sont les vins de Maurétanie Césarienne (actuelle Algérie), de Maurétanie Tingane (partie du Maroc), de Byzacène (Tunisie) et de Tripolitaine (Lybie) qui sont exportés vers l'Italie.

Le saviez-vous ?

Defrutum

Le defrutum était un vin cuit, parfois agrémenté d'olives noires et d'aromates. Produit dans la région située au débouché du Guadalquivir, il était exporté partout dans l'Empire romain dans des amphores ovoïdes à fond pointu et col à bords évasés appelées « Haltern 70 » (du nom du site rhénan où elles ont été pour la première fois identifiées).

Le vin de Maurétanie romaine était-il exporté ?

Le vin de Maurétanie romaine était-il exporté ?

Amphore africaine de type Spathéion.

Musée de Nabeul, Tunisie.

L’Afrique romaine produisait du vin. Même si dans leur grande majorité les amphores retrouvées sur les sites antiques du bassin occidental méditerranéen (Afrique du Nord) contenaient surtout de l’huile ou des salaisons, les sources littéraires et épigraphiques indiquent que certaines d’entre elles étaient bel et bien remplies de vin. Une nouvelle lecture de ces sources a permis de requalifier des sites autrefois attribués à la fabrication d’huile en sites de production et d’entreposage de vins. Selon les archéologues, ce vin n’était pas nécessairement transporté dans des amphores, mais au moyen d’outres de cuir, ce qui explique l’absence de traces archéologiques.

 

Il reste toutefois difficile d’apporter la preuve d’un commerce du vin de part et d’autre de la Méditerranée. En effet, en l’absence d’analyses chimiques, on ne peut attester parfaitement que les amphores africaines servaient au transport du vin, même si un certain nombre d’indices permettent de l’envisager : des amphores vinaires provenant d’autres provinces de l’Empire, dont les formes s’inspirent des modèles gaulois ou orientaux ; la découverte d’ateliers de fabrication à Nabeul (actuelle Tunisie) ou encore d’amphores tripolitaines enduites de poix (qui n’ont donc pas pu contenir de l’huile).